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abstraits, doute, bon vouloir, ferme espoir, ferme amour, dont il faisait des personnages et pour ainsi dire ses héros, allaient désormais disparaître ou ne plus se montrer qu’en abdiquant cette personnalité factice pour devenir tout simplement le ferme amour, le bon vouloir, le doute, etc. Et dans tout le reste de son style même changement, même retour au vrai, au simple, au naturel. Encore un coup, cette métamorphose était du fait de Marguerite. C’est donc à elle qu’il a dû son talent, sa gloire, ce renom qui depuis trois cents ans ne s’est pas éclipsé un seul jour ; mais ses tribulations, ses tourmens, ses malheurs, sa prison, ses exils, c’est à elle qu’il les doit aussi.

Dans cette cour aventureuse, éprise de nouveautés et de fruit défendu, accueillant avec prédilection les opinions les plus hardies qui commençaient à poindre, qu’on se figure ce jeune provincial sans naissance, admis par le seul droit de son esprit au dangereux honneur d’une haute familiarité. Ne va-t-il pas, pour se faire bien venir et pour gagner ses éperons, dépasser en ardeur les élégans railleurs parmi lesquels il vit ? Et, s’il est par malheur amoureux, que ne fera-t-il pas pour capter un regard ou un sourire de plus ? Telle est l’histoire de ce pauvre Clément : dans les premiers momens, chacun l’excite et l’applaudit ; le roi lui-même, comme la duchesse, prend plaisir à ses témérités ; mais le temps change, le ciel se couvre ; ce qui n’était d’abord pour tous ces gens de cour qu’amusement et causeries devient crime d’état : les prisons s’ouvrent et les bûchers s’allument : un beau matin, sans qu’il sache comment, voilà Marot sous les verrous. Pour cette fois, il le prend en riant. Le roi ne peut l’abandonner ; il lui écrit ces vers :

Roy des Françoys, plein de toutes bontez,
Quinze jours a, je les ay bien comptez,
Et dès demain seront justement seize,
Que je fuz faict confrère au dioceze
De Sainct-Marry, en l’église Sainct-Pris,
Si vous diray comment je fuz surpris…

Après le récit de sa mésaventure, il termine en ces mots :

Si vous supply, sire, mander par lettre.
Qu’en liberté vos gens me vueillent mettre…
Très humblement requérant vostre grâce
De pardonner à ma trop grande audace,
D’avoir empris ce sot escript vous faire :
Et m’excusez, si, pour le mien affaire,