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du roi pour ne pas trop l’abandonner. Aussi, peu de mois après, à l’occasion de Cérisoles et de la gloire du duc d’Enghien, il se sentit renaître et retrouva quelques accens de ses premières années. C’était le chant du cygne. Il put apprendre encove que ses vers avaient fait un certain bruit en France et qu’à la cour on parlait de Marot, puis il s’éteignit en 1544 à l’âge de quarante-sept ans.

Voilà cette vie bizarre et décousue, pleine d’inconséquences, de légèretés, de faiblesses, mais ennoblie et relevée par des dons merveilleux et des trésors d’esprit. Le personnage est équivoque, il n’inspire qu’un médiocre intérêt ; le talent est de premier ordre, de la trempe la plus fine et du grain le plus délicat. On sait qu’à peine était-il mort, les réformés s’emparèrent de ses psaumes, les portèrent aux nues et en firent une partie essentielle et intégrante de leur culte. Ce qu’il s’en vendit de milliers d’exemplaires, au dire des contemporains, peut à peine se croire. C’est presque un avant-goût des grandes publicités de nos jours. Ce succès, bien qu’affermi et perpétué dans les églises protestantes jusqu’au XVIIIe siècle, n’avait vraiment pour base qu’un engouement, presque un caprice de l’esprit de secte. Il y a sans doute çà et là certains vers bien tournés, certains équivalons heureux et de couleur expressive, le talent, même quand il s’expatrie et quitte les climats qui lui sont favorables, ne laisse pas que de donner quelque trace de vie ; mais dans ces psaumes travestis les beaux passages ne sont que rares étincelles au milieu d’une véritable nuit. La maigreur de la traduction se fait d’autant mieux sentir que le texte est plus majestueux, plus solennel et plus puissant. Encore un coup, ce n’est pas là qu’il faut chercher Marot. Il n’est lui-même que dans son temps, à sa vraie place et pas ailleurs. Cherchez-le pendant les douze années où, pas encore persécuté, inquiété tout au plus, mais sûr du roi, heureux, à son aise et tranquille, il laisse épanouir cet art de dire des riens et d’en faire quelque chose, art indéfinissable, chatoyant, fugitif, art tout français, et pour lequel il fut (nous empruntons sa langue) « fait, filé et tissé. » Pourquoi ne céderions-nous pas à une tentation qu’approuverait peut-être le lecteur, celle de citer ici, en terminant cette esquisse, quelques vers, si connus qu’ils soient, de cette épitre au roi dont nous avons déjà parlé, l’épitre du larcin.


AU ROI
On dict bien vray : la maulvaise fortune
Ne vient jamais, qu’elle n’en apporte une,
Ou deux, ou trois avecques elle, sire !
Vostre cueur noble en sçauroit bien que dire,