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reine de Hongrie, la venue même de l’empereur, ne l’inspirèrent que très médiocrement, et comme en même temps qu’il voulait plaire au roi, consolider sa nouvelle fortune et déconcerter ses rivaux qui l’épiaient et jetaient feu et flamme chaque fois qu’il lui échappait quelque trait d’involontaire hilarité, comme en se contraignant ainsi au Louvre ou à Chambord il ne renonçait pas à son secret commerce avec ses vieux amis les réformés, lesquels en continuelles alarmes, traqués de près, n’avaient assurément aucune envie de rire, on peut dire que la gravité l’envahissait de toutes parts et mettait son esprit en déroute. Il n’en rimait pas moins et même l’idée lui vint, peut-être à la prière de quelques luthériennes ou de quelques pasteurs, de sanctifier son talent. De là cette ambition de lutter avec le roi-prophète et de traduire les psaumes en vers français..

Son entreprise resta d’abord secrète, puis, je ne sais comment, le roi en fut instruit, et, loin de s’en fâcher, trouva l’acte louable et les vers de son goût. Aussitôt le succès fut immense à la cour ; on se disputait les copies de ces odes sacrées, on les récitait en musique, les adaptant aux airs de vaudevilles les plus en vogue en ce temps-là. Le roi les avait pris tellement en estime qu’au moment du passage de Charles-Quint à Paris il voulut que Marot offrit ses trente psaumes, les seuls qu’il eût encore traduits, au catholique empereur, et celui-ci, loin d’en refuser l’hommage, le paya de deux cents doublons d’or.

Par malheur, la Sorbonne se mêla de l’affaire. Elle s’était émue au bruit de ces chansons. Tout essai d’interprétation en langue profane, ou vulgaire d’un fragment des saintes Écritures lui était naturellement suspect, et la renommée du traducteur, ses œuvres, ses anciens exploits, n’étaient pas faits pour calmer ses soupçons. Elle fit prier le roi d’abandonner aux calvinistes ces sortes de passe-temps. Le roi se le tint pour dit, et ne fit pas le moindre effort pour soutenir celui qu’il avait tant encouragé. Cet abandon mit notre homme en émoi : le sol lui parut trembler, et, pratiquant sa prudente méthode, il prit la fuite, et sans autre façon courut s’enfermer à Genève ; mais c’était là que l’attendait sa plus cruelle disgrâce. Les saints de la nouvelle Jérusalem l’avaient autrefois ménagé quand il pouvait leur ouvrir en cachette la porte du cabinet du roi ; fugitif et abandonné, il ne fut plus pour eux qu’un allié compromettant, un libertin douteux dans ses croyances, nourri des vanités mondaines. Ils le forcèrent à déguerpir ; le pauvre diable n’eut plus d’autre ressource que de se jeter en Piémont, où les armées du roi tenaient campagne. Il s’abrita derrière les hallebardes françaises, sous l’aile du maréchal de Boutières, qui avait, dit-on, reçu le mot