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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/654

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Amour, tu as esté mon maistre,
Je t’ay servy sur tous les dieux.
O si je povois deux fois naistre
Comme je te servirais mieulx !


RÉPONSE.
Ne menez plus tel desconfort,
Jeunes ans sont petites pertes ;
Vostre aage est plus meur et plus fort
Que ces jeunesses mal expertes.
Boutons serrez, roses ouvertes,
Se passent trop légèrement ;
Mais du rosier les feuilles vertes
Durent beaucoup plus longuement.


DE MADAME LA DUCHESSE D’ALENÇON.
Ma maistresse est de si haulte valeur
Qu’elle a le corps droit, beau, chaste et pudique ;
Son cueur constant n’est, pour heur ou malheur,
Jamais trop gay, ne trop mélancolique.
Elle a au chef ung esprit angélique,
Le plus subtil qui onc aux cieulx voila.
O grand merveille ! on peult veoir par cela
Que je suis serf d’ung monstre fort estrange ;
Monstre je dy, car, pour tout vray, elle a
Corps fémenin, cueur d’homme et teste d’ange.


Ne vous offensez pas des hiatus, glissez sur quelques mots, sur quelques tours par trop vieillis, mais en bien petit nombre, et convenez que tout le reste est jeune, alerte, animé, attachant. Quelle simplicité et quelle concision ! quel mouvement et quelle grâce ! quelle finesse de pensée, quel à-propos, quelle douce et franche plaisanterie ! Tous les trésors, toutes les perles de cette poésie fugitive dont les trois siècles qui vont suivre verront éclore les plus exquis modèles, ne les trouvez-vous pas dans cet écrin du XVIe siècle, déjà presque complets, presque achevés ? Nous admettons qu’on puisse être insensible à ce genre de poésie, que les étrangers et même parmi nous de superbes esprits n’attachent aucun prix aux vers de La Fontaine, ne trouvent aucun charme aux étincelles de Voltaire ou aux caprices de Musset : puisqu’ils le disent, il faut les croire, sauf à les plaindre ; mais pour ceux qui ont le sens de ces finesses de palette, de ces ondoyantes couleurs,