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destruction de 1 milliard 149 millions d’insectes, qui n’eussent pas produit moins de 23 milliards de larves l’année suivante. L’industrie privée s’est mise elle-même à donner des primes aux chasseurs de hannetons. Il y a dans le département de l’Oise une sucrerie indigène fort importante, où durant trois ou quatre mois de l’année on traite chaque jour 200,000 kilogrammes de betteraves. Or les approvisionnemens fournis par les cultures environnantes diminuaient » sans cesse par suite de la multiplication incessante des larves. Le directeur de cette usine promit de donner 20 francs, par 100 kilogrammes de hannetons qu’on lui apporterait. Bientôt les sacs pleins de ces insectes affluèrent. Une chaudière maintenue à la température d’ébullition recevait ces sacs dès qu’ils étaient pesés, et après un séjour de quelques minutes dans l’eau bouillante les coléoptères, rapidement et économiquement tués par ce procédé énergique, étaient livrés à des cultivateurs auxquels ils servaient pour fumer leurs champs. Dans une saison, 30,000 kilogrammes d’insectes passèrent dans ce bain d’eau bouillante, c’est-à-dire qu’environ 28 millions de hannetons furent détruits[1]. Ils auraient produit 560 millions de larves qui eussent vécu aux dépens de deux récoltés successives de betteraves.

On aura remarqué ce qu’avait de commode cette immersion des sacs dans une chaudière bouillante. Cette méthode n’est pas toujours praticable. On n’a d’ordinaire à sa disposition dans une ferme ni matériel convenable ni eau chaude à discrétion. Aussi s’est-on ingénié pour tuer économiquement les prodigieuses quantités de hannetons qu’on voulait convertir en engrais. On essaya d’abord de les écraser sous des meules ou de les jeter soit dans les eaux de purin soit dans des fosses où on les recouvrait de chaux. Il a fallu à peu près renoncer à ces pratiques. Au moment où l’on ouvrait, pour les vider, les sacs ou les paniers qui renfermaient les hannetons, ceux-ci, excités par les secousses du voyage et la chaleur, s’envolaient en grand nombre. M. Reiset avait essayé d’abord de plonger les sacs fermés dans l’eau de chaux. Il a reconnu qu’il fallait quatre jours pour tuer les coléoptères ; force fut de renoncer à ce toxique trop bénin. M. Reiset s’est alors décidé à faire usage de naphtaline brute extraite des huiles de goudron de houille des usines à gaz. C’est une substance solide, cristalline, à odeur forte, et elle émet à la température ordinaire des vapeurs qui sont un véritable poison pour certains insectes. Enfermés dans un tonneau avec les deux centièmes de leur poids de naphtaline, les hannetons sont tués en cinq heures. M. Paul Audouin a même reconnu que

  1. Le poids des hannetons varie naturellement suivant l’époque. M. Lamoureux a constaté qu’en moyenne 1,000 de ces insectes adultes pèsent 1 kilogramme 40 grammes.