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végétation exceptionnelle, les villes, les bourgs, les châteaux seigneuriaux pressés dans toutes les directions, les cours d’eau étincelans que le Pô recueille, les ondulations des collines étagées descendant de l’enceinte des montagnes. Parmi ces éminences, la Rocca di Cavour s’élève tout près de l’entrée de la patrie vaudoise, haute de 200 mètres et d’une circonférence de 5 kilomètres à la base, couverte de son riche manteau d’arbres, de vignes, de champs, et de prés, et portant encore sur son dos les restes du château des Benso di Cavour, de la famille qui a donné à l’Italie son plus grand ministre. La situation singulière de ce bloc de rocher, droit au milieu de la plaine de Saluces, isolé des Alpes et de l’Apennin, dont la formation est restée un problème, avait déjà frappé l’attention du naturaliste Pline, qui l’appelle Caburrum, d’où est venu le nom de Cavour.

C’est en face d’un tel spectacle, en plein air, à l’ombre des grands châtaigniers, que se réunit l’Israël des Alpes pour délibérer sur son adhésion à la réforme. La première séance s’ouvrit par la formule des conciles de l’église primitive : « en présence de Dieu, des docteurs et du peuple, » omni plebe adstante, ou, selon le texte vaudois donné par George Morel : en presencia de Dio, de tuit li ministri, eciam del populo. Les barbes de l’autre versant et des colonies provençales et calabraises y étaient venus avec un grand nombre de leurs ouailles, qui, mêlées aux vaudois piémontais, formaient une grande réunion couronnant la colline. Les étrangers ne purent contenir leur joie en voyant, dit un témoin oculaire, assemblé en si grand nombre « ce peuple de constante fidélité, cet Israël des Alpes à qui Dieu avait remis en garde pendant tant de siècles l’arche de la nouvelle alliance, » et l’émotion de Farel éclata en une de ces prières ardentes qu’il savait faire et auxquelles sa voix tonnante donnait un accent irrésistible, improvisations impétueuses qui étonnèrent si fort les prélats du XVIe siècle, habitués à prier dans leurs formulaires liturgiques… Après ce début entraînant, le concile s’occupa d’abord de la traduction de l’Écriture sainte. Aucune question ne pouvait mieux que celle-là rapprocher les anciens des nouveaux protestans. Les vaudois possédaient en manuscrit quelques portions de la Bible traduites dans leur dialecte roman, et c’est avec ces traductions qu’ils avaient un moment ébranlé la domination de l’église sur le midi de la France. On en mit sous les yeux de l’assemblée des exemplaires sauvés des bûchers, et les réformateurs, ajoute le témoin, « considérant avec intérêt ces traductions vénérables, copiées correctement à la main depuis si longtemps qu’on n’en avait point souvenance, s’émerveillèrent de la faveur céleste qu’un si petit peuple avait reçue en partage, et rendirent grâces au Seigneur de ce que la Bible ne lui avait jamais