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ferment aux Français l’entrée de la vallée du Pellice. Le maréchal, irrité de cette résistance en pays allié, commande l’assaut des retranchemens, et l’extermination préparée par le sanfédisme turinois eût été accomplie par des mains françaises sans une heureuse rencontre de l’historien Léger avec le capitaine français de Corcelles, qui était protestant. Celui-ci, qui connaissait l’historien, l’ayant aperçu sur la colline de la Torre au milieu des siens, poussa son cheval sur lui, et Léger, saisissant vivement la queue de la monture de son ami, traversa au galop les régimens déjà engagés dans le combat, et vint se jeter aux genoux du maréchal pour lui dévoiler le stratagème de la propagande. « Monseigneur, lui dit-il, il y a des capucins, il y a des seigneurs de la vallée et même des ministres de son altesse royale qui ne cessent de persuader à ce pauvre peuple que c’est au grand déplaisir de son altesse royale que votre excellence veut loger ses troupes dans ces vallées, qui déjà sont remplies des siennes, et que, si elles reçoivent encore celles de votre excellence à moins que d’y être forcées, on les traitera comme perfides et rebelles. Il n’y a que cette seule appréhension, monseigneur, et la fidélité qu’elles doivent à leur souverain qui les aient poussées à faire quelques résistances. Par les compassions de Dieu, ayez le moindre billet de son altesse royale qui témoigne qu’elle consent à ces logemens, et faites alors des vallées à votre discrétion : elles auront patience qu’on les foule aux pieds, moyennant qu’elles n’encourent pas l’indignation de leur prince. »

Cet incident montre à nu les ressorts secrets de l’intrigue. Les metteurs en scène de la sombre tragédie, n’ayant pu la faire jouer par les Français seuls, amenèrent sur le théâtre d’autres acteurs. Le marquis de Pianezza arriva dans les vallées, maintenant ouvertes par les Français, avec les deux régimens savoyards de Chablais et de Ville, et le régiment piémontais de San Damiano, qui furent logés chez les habitans pêle-mêle avec les Français et les Irlandais. Ils encombrent toutes les vallées, à l’exception de la gorge inhabitable en hiver du Prà del Tor, où nous verrons se reformer pour le combat les réchappés du massacre le plus épouvantable dont fasse mention l’histoire moderne après celui de la Saint-Barthélémy. Le signal en fut donné du haut du clocher de l’église catholique de la Torre, le 24 avril, la veille de Pâques. La plume recule devant cet épisode de sang. Les écrivains du temps, qui n’avaient pas les nerfs aussi délicats que ceux de nos jours, entrent dans tous les détails de cette boucherie, et font assister leur lecteur au spectacle hideux de femmes et de jeunes filles violées, mutilées, empalées et ensuite plantées, nues et palpitantes, au bord des chemins. L’historien Léger, entre autres, ne tarit pas sur ces détails horribles. Échappé au commencement du massacre sous une grêle de balles et en rampant sur la