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dernier a prisé, fumé, mâché pour 40,717,269 francs de tabacs, possède pour sa part 808 débits, Il entrepôts et 2 manufactures. Ce sont ces dernières que nous étudierons avec quelque détail afin de voir par quelle série d’opérations le tabac doit passer avant d’être livré à la consommation.


II

La manufacture du Gros-Caillou est située sur le quai d’Orsay, dans cette île aux Cygnes qu’on ne savait comment utiliser au siècle dernier, où il fut un instant question de bâtir l’Hôtel-Dieu après l’incendie de 1772, et qui fut réunie à la terre ferme en 1780. C’est l’ancienne fabrique d’un M. Robillard, qui fit là une grosse fortune avant l’établissement du monopole. Elle s’étend sans aucune symétrie sur une superficie de deux hectares et demi qui, par la seule plus-value des terrains, donneraient amplement, s’ils étaient vendus aujourd’hui, de quoi élever vers Grenelle ou vers la Santé une manufacture modèle vraiment en rapport avec une exploitation si considérable. C’était jadis un amoncellement de masures auxquelles on ajouta en 1827 les bâtimens d’habitation qui lui servent de façade. Telle qu’elle est, cette manufacture n’est point belle. Les constructions semblent en avoir été bâties sans plan déterminé, selon les exigences du moment ; les services, au lieu d’être groupés sous la même main, ont été forcément disséminés dans de vastes salles que réunissent des escaliers incommodes, souvent étroits, toujours pénibles à gravir. Les cours, exposées au soleil, sont égayées par quelques arbres qui se détachent sur les hautes murailles blanches et mornes. Deux immenses cheminées en brique garnies de paratonnerres semblent inutiles, car jamais nul panache de fumée ne les couronne. On entend cependant le bruit régulier des machines à vapeur et le ronflement des foyers qui dévorent le charbon. Dès qu’on a franchi la porte, on ne peut s’y méprendre, on est bien dans une manufacture de tabacs ; on n’a encore rien vu que déjà un parfum chaud et comme acidulé vous enveloppe, s’attache à vous, imprègne vos vêtemens, vous accompagne partout, et vous suit longtemps encore après qu’on est sorti. On entre, on éternue ; le portier sourit, il a reconnu un novice.

On croit assez généralement qu’il suffit de pulvériser, de rouler, de hacher une feuille de tabac pour pouvoir priser, fumer ou chiquer, et l’on se trompe. Les préparations sont multiples, lentes, et exigent des précautions très variées. Pour obtenir le tabac sous les quatre formes principales qui sont chères aux consommateurs, sous forme de râpé, c’est-à-dire de poudre, de scaferlati, de rôles (tabac