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Au Gros-Caillou, on ne fabrique à peu près que des cigares communs ; les cigares de choix, faits en pur tabac de La Havane, sont réservés exclusivement à la manufacture de Reuilly.


III

La manufacture de Reuilly était située jadis hors barrière ; mais l’annexion de la banlieue l’a fait entrer dans l’enceinte de Paris. De grands arbres, de vastes terrains verdoyans, l’entourent et lui donnent l’aspect joyeux d’une usine de campagne. Elle est de création récente et ne date que de 1857. À cette époque, la consommation des millares (cigares à 15 centimes) avait pris des proportions telles qu’il n’était presque plus possible de répondre aux demandes, et que les négocians de La Havane, voyant notre embarras, menaçaient d’augmenter leurs prix. On eut l’idée alors d’acheter des tabacs en feuille dans les meilleurs vegas (plantations) de Cuba, de les expédier à Paris et de les confectionner en cigares. Une mission confiée à M. Rey, ingénieur des tabacs, réussit parfaitement ; on établit la manufacture de Reuilly, on forma des ouvrières, et les résultats qu’on a obtenus prouvent que nous pouvons lutter sans trop de désavantage contre la fabrication exotique. C’est là un point capital qui permet de livrer au public des cigares accessibles à bien des bourses et d’en retirer un bénéfice considérable. Ce premier succès a été un encouragement dont on a profité, et Reuilly fournit maintenant des cigares de luxe, tels que londres, trabucos, regalias de la reina, depuis 25 jusqu’à 50 centimes, qui, sans tromper les vrais connaisseurs, parviennent du moins à les satisfaire. La manufacture emploie aujourd’hui 748 personnes, dont 700 femmes. Si les ouvriers ne lui manquaient pas, elle pourrait s’étendre sur les terrains voisins, qui lui appartiennent, et doubler sa production, ce qui permettrait de garder les cigares en magasin jusqu’à ce qu’ils aient atteint le degré de maturité parfaite.

Chaque année, 5,000 balles renfermant environ 240,000 kilog. de tabac récolté dans les vegas légitimes, c’est-à-dire célèbres, de l’île de Cuba arrivent à Reuilly, et sont précieusement conservées dans de vastes caves peu éclairées et de température toujours égale. Lorsque l’on a décousu l’enveloppe en forte toile, on en trouve une seconde formée de larges et résistantes feuilles arrachées au palmier royal (oreodoxa regia) ; cette dernière renferme les manoques de tabac liées au sommet et composant une poupée. Ces poupées sont, malgré le long voyage qu’elles ont accompli, encore imprégnées d’une certaine humidité, reste de la fermentation préalable qu’elles ont subie après avoir été rassemblées et empaquetées.