Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/760

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poète. Dupe lui-même des éternels mirages de son imagination méridionale, il passa sa vie à leurrer ceux qui l’écoutaient. Ses illusions, auxquelles, à force de parler, il finissait par croire, persuadaient à la longue les auditeurs bénévoles qu’elles amusaient. On le vit ainsi parvenir à convaincre un directeur de l’Opéra que la Sémiramide de Rossini avait le caractère assyrien, et se prêterait à toutes les conditions d’une mise en scène archéologique. Herculanum fut une erreur du même genre. Comme il avait persuadé M. Royer par l’emphase de ses paradoxes, il entraîna M. David, Les Italiens au moins, quand ils s’attaquent à des idées qui les surpassent, ont, pour donner le change, la flamme de leur inspiration. La Norma de Bellini, le Polyeucte de Donizetti, n’ont assurément rien d’antique ; mais cette musique chaude, passionnée, vous remue, vous ravit par momens. Si elle ne vous dit pas tout ce qu’il faudrait dire, encore dit-elle quelque chose : la musique d’Herculanum vous laisse froid. Pour remplacer le caractère absent, nulle furie, nul entrain, aucun de ces grands coups de brosse qui, dans les peintures simplement décoratives, réjouissent les yeux et font taire en vous le sens critique. Païens et chrétiens, tous parlent le même langage, chantent la même litanie, et c’est du commencement à la fin une enfilade de morceaux dont quelques-uns, pris séparément, — l’hymne à Vénus par exemple, et le grand duo du quatrième acte avec son mouvement de Marseillaise, — offrent de l’intérêt, mais qui dramatiquement ne constituent pas un ensemble. Il y avait dans l’ancien opéra italien des cavatines que le public se dispensait d’écouter, on les appelait arie di sorbetto, parce que pendant ce temps les rafraîchissemens circulaient dans les loges. J’ai remarqué que cette ritournelle revient souvent dans Herculanum, et peut-être est-ce pour cela qu’on a dit spirituellement que c’était un opéra d’été.

Quoi qu’il en soit, l’ouvrage est monté avec le soin et le goût qui se rencontrent d’ordinaire à l’Académie impériale. De telles reprises, même alors qu’elles ne réussissent pas complètement, méritent qu’on les encourage, car elles conviennent à la dignité d’un théâtre toujours préoccupé de l’importance de son répertoire, qui, les yeux fixés sur l’avenir, sait aussi ne point négliger le passé, et a voulu à ses risques et périls montrer au public d’aujourd’hui une œuvre d’il y a dix ans à laquelle l’Institut décernait naguère le fameux prix de 20,000 francs. Du reste, aux momens difficiles de la saison, le répertoire est venu fournir son aide accoutumée, Don Juan et Guillaume Tell n’ont cessé pendant tout le mois de juin d’occuper l’affiche. C’est dans ces périodes de transition qu’un théâtre bien organisé montre sa force. Par où d’autres périssent, il se conserve. Les dernières représentations de M. Faure ont été de vrais triomphes pour le chanteur ainsi que pour la troupe, unie, entraînée, jouant, chantant d’ensemble et de conviction ces chefs-d’œuvre qu’elle ne se lasse pas d’exécuter et que le public ne se lasse pas