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d’entendre. Dans Don Juan, Mlle Mauduit a pris le rôle d’Elvire, et sa belle voix, son talent, sa jeunesse pleine d’intelligence et d’ardeur, lui ont valu tout de suite un de ces succès qui ne manqueront pas de l’accueillir chaque fois qu’on lui fera jouer une partie digne d’elle.

Encore quelques jours, et la belle Ophélie va reparaître dans son encadrement de glaïeuls et de nénufars. Cette saison de Londres n’aura été pour Mlle Nilsson qu’une série non interrompue de triomphales apparitions. Dans Marta, dans Lucia, on l’avait déjà vue et applaudie ; mais quel n’a pas été l’enthousiasme à propos des Noces de Figaro ! On avait dit qu’elle jouerait le page d’Auber dans Gustave, mieux lui a valu prendre celui de Mozart, l’événement l’a bien prouvé. « Il est peut-être permis d’ajouter que l’apparence personnelle du jeune page de cour a beaucoup contribué au nouveau succès d’une des plus grandes favorites de notre public ! » Ainsi s’expriment les gazettes sur le sujet du travestissement, toujours si délicat pour une jolie femme. L’actrice du reste a réussi à l’égal de la cantatrice, sinon mieux. Mlle Nilsson fait un Chérubin de fantaisie, cela va sans dire, moins entraîné que séduisant, soumis, gracieux, attendri, le vrai page d’une Rosine archiduchesse. A défaut de Beaumarchais, c’est à Mozart qu’elle s’attache, et toutes les forces, tout le prestige de sa voix et de son talent semblent se concentrer sur cet inimitable Voi che sapete, dernier terme en musique du style et de l’expression raphaélesques. Quant à cette popularité, plus grande peut-être-encore à Londres qu’à Paris, un mot suffit à l’expliquer : Mlle Nilsson chante en anglais comme elle chante en français, en allemand, en italien et en suédois, et son trille que rien n’épouvante affronte, musique et paroles, les airs de Judas Machabée. Que dire maintenant de tant de victoires remportées au Palais de Cristal, à la Philharmonique, de ces festivals babyloniens où vingt-quatre mille auditeurs prennent place, de ces matinées de Belgravia, de ces Queen’s State-Concerts à Buckingham-Palace ? Élevé à ces hauteurs, le succès devient une folie, et personne au monde ne s’entend comme Mlle Nilsson à émouvoir cette folie, à l’exploiter dans ce qu’elle a d’honnête et de permis. Dans son art, Mlle Nilsson a des rivales, Mme Miolan, la Lucca, la Patti ; ce qui constitue sa force incomparable, c’est sa personnalité, décidément très accentuée, très remarquable, et par laquelle tout s’explique, son succès et son influence au théâtre comme dans le monde.

Une très grande voix allant du si en bas au au-dessus de la ligne, superbement charpentée et nouée en ses trois registres, de la jeunesse, une certaine beauté, — quoique point dramatique, — tels sont les avantages que Mlle Julia Hisson vient de faire valoir pour la première fois dans la Léonora du Trouvère. La salle, — une salle d’été composée à souhait pour la circonstance, — ne demandait pas mieux que de se montrer favorable, et les applaudissemens n’ont cessé de répondre aux appels de voix de la débutante. A titre d’encouragemens, ces bravos sans