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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/762

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doute ont leur prix. C’est tout ce que pour le moment il en faut dire. Il n’y a là encore qu’une promesse, et encore assez vague, d’avenir. Mlle Hisson force déjà beaucoup et outre-passe le cercle de résonnance de son organe ; elle force non-seulement dans le haut, mais dans le médium, ce qui est un défaut moins commun. Ce que sera un jour cette voix et quels services elle pourra rendre quand elle saura se régler et se gouverner, nous l’ignorons absolument, comme nous ignorons ce que sera cette intelligence dramatique quand elle obéira à d’autres lois que celles du caprice et du hasard. A notre avis, Mlle Julia Hisson a débuté trop tôt ; deux ans d’études sérieuses l’eussent peut-être mise à point. Ce que nous entendons aujourd’hui n’offre guère qu’un mélange de qualités et d’imperfections où les plus éclairés auront bien de la peine à se reconnaître. Duprez disait : « La voix est un obstacle. » Jamais le mot ne m’a semblé si vrai. Rien d’incommode comme ces grandes voix à qui ne sait les manier. Mlle Hisson s’embarrasse à chaque instant dans la sienne comme dans une traîne de duchesse ; cette riche et lourde étoffe, inassouplie, gêne ses mouvemens, rend ses gestes gauches, et donne à tout son jeu je ne sais quel air d’inintelligence théâtrale qui disparaîtra sans doute quand la jeune débutante : sera plus maîtresse d’elle-même. Bien des gens s’imaginent que la musique de Verdi veut être criée ; ce soir-là, l’impulsion étant donnée à outrance, c’était à qui serait de la fête. Tous les clairons sonnaient, et quels clairons ! M. Devoyod, M. Morère, Mlle Rosine Bloch. Cette musique d’enclume et de marteau, d’autres pourtant l’ont chantée, non criée. De ses âpres motifs dont la rudesse aujourd’hui nous déchire l’oreille, d’autres ont trouvé, rendu la note pathétique, la nuance. Quelle noble phrase, pour un baryton qui saurait son métier que ce cantabile de l’air du comte de Lima, si largement dessiné pour l’émotion et pour le style ! L’accent original de Verdi s’y manifeste dans toute la suavité mélodique de la belle cavatine italienne, c’est du Donizetti et du meilleur, du Donizetti de la Favorite. J’en dirai autant de ce fier duo qui vient après le Miserere. Jamais situation ne fut attaquée d’une main plus vigoureuse. Dès l’entrée en matière, vous sentez le maître qui vous saisit et ne vous lâche plus. Pour l’ardeur et l’entraînement, cette scène, succédant aux pompes dramatiques du Miserere, vous remet en mémoire, — toute proportion gardée, bien entendu, — le duo de Valentine et Raoul succédant à la bénédiction des poignards : deux grands effets obtenus ainsi coup sur coup, chose très rare au théâtre, ou réussir une fois compte déjà. Il faut que ce morceau soit en vérité d’une bien puissante constitution pour entraîner toute une salle, exécuté à l’emporte-pièce comme il l’est par M. Devoyod et Mlle Hisson. On n ! imagine pas un tel assaut de cris : Lainez, Laïs et Mme Branchu sont dépassés. Sans évoquer les souvenirs de la Frezzolini, qu’on se rappelle simplement ce que fut à ses débuts Mme Gueymard dans ce rôle de Leonora créé par elle à l’Opéra, ce qu’était hier encore. Mme Sass, une voix, non moins