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psychique. La première, involontaire, impersonnelle, qui tombe sous l’examen et l’appréciation de la science physiologique, est, avec plus ou moins d’intensité, identique chez tous les hommes. L’autre, dont l’étude est du ressort des sciences métaphysiques, c’est le moi personnel, l’homme affranchi de la fatalité, le souffle impérissable et mystérieux de la vie. » Ainsi m’enseignait, il y a quelque vingt ans, un ami très intelligent et très modeste qui n’a jamais fait parler de lui comme philosophe.

Cette définition pouvait être forcée quant à l’expression : il donnait le même nom à l’instinct et à la réflexion ; mais dans son langage figuré il résumait peut-être d’une façon pénétrante et saisissante le problème de l’humanité. Je n’ai jamais oublié cette formule qui m’a toujours paru résoudre admirablement le mystère de nos contradictions intérieures et les antinomies sans fin qui divisent les hommes à l’endroit de leurs croyances.

Voici ce que je lis dans un livre dernièrement publié :

« Les choses se passent dans l’être humain comme si, à côté du cerveau pensant, il y avait d’autres cerveaux pensant à notre insu, et commandant à tous les actes de ce que j’appelle la vie spécifique. Le dualisme de l’homme et de l’animal, de l’ange et de la bête, n’est point chimère, antithèse, fantaisie. Voici le cerveau, le centre noble, et voilà les centres divers de la moelle et du système nerveux sympathique. Ici règne la volonté, là l’instinct. Quelle lumière se répand sur la vie humaine quand on se met à y démêler l’œuvre de l’intelligence consciente et volontaire, et le travail lent, monotone et fatal de l’instinct, caché aux centres nerveux secondaires ! Comme l’âme proprement dite se trouve parfois faible devant cette âme-instinct qui ne devrait être que servante[1] ! »

Voilà bien, en somme, la définition de mon vieux philosophe — sans le savoir : une âme libre, immatérielle, fonctionnant au sommet de l’être ; une âme esclave, spécifique, c’est-à-dire commune à toute l’espèce, agissant dans les régions inférieures ; ici la moelle épinière transmettant ses volitions à l’encéphale, là l’encéphale luttant avec la volonté, dont il est le siège, contre les volitions aveugles de l’instinct.

De là deux propositions contraires qui contiennent chacune une vérité incontestable. « L’homme est toujours et partout le même, » disent les uns, « cruel, lascif, intempérant, paresseux, égoïste. Les mêmes causes produisent et produiront toujours les mêmes effets. L’homme ne progresse point. » Cette opinion est fondée. Le rôle de l’instinct est fatal et ne s’épuise ni dans le temps ni dans

  1. Auguste Laugel, Des problèmes de l’Ame, Paris 1868.