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Eh quoi ! nous ne sommes point mûrs pour une croyance qui réponde aux besoins de notre libre aspiration sans condamner à mort cet instinct spécifique qui est le code imprescriptible de la nature animée ? Et même dans le sanctuaire de l’encéphale, dont les opérations sont aussi multiples et aussi mystérieuses que la structure anatomique du cerveau est compliquée et insaisissable, il nous est impossible de marier la lucidité supérieure à la clairvoyance pratique ? Nous sommes donc des infirmes, des êtres épuisés, à moins que nous ne soyons des intelligences qui n’ont encore rien commencé ?

Levez-vous donc, éveillez-vous, nobles esprits qui sentez palpiter en vous la troisième âme, la grande, la vraie, celle qui n’affirme pas timidement l’idéal et qui le prouve par cela même qu’elle le possède, qui ne tressaille pas d’effroi devant l’épreuve scientifique parce qu’elle sait à priori que cette épreuve sera la sanction de sa foi aussitôt qu’elle sera complète et décisive. Cette âme a autre chose à faire que de vaincre les révoltes et les tyrannies de l’instinct. Elle éclora dans des organisations qui les auront vaincues ; mais, sitôt qu’elle parlera, elle enseignera rapidement comment il est facile à tous de les vaincre. Elle résoudra ce formidable problème qui consterne notre élan philosophique vers la beauté morale ; elle nous rendra moins sévères pour les obstinations de la vie spécifique. Ces tyrannies de la chair ne sont redoutables que parce que l’âme universelle n’a point clairement parlé en nous, et que l’âme personnelle n’a pas d’armes assez bien trempées pour le combat. Ces armes de la foi et de la grâce que les catholiques se vantent de posséder sont aussi faibles que celles du scepticisme, puisque les tentations sont plus âpres à mesure que le chrétien devient plus saint et plus mortifié. Ce n’est pas la haine et le mépris de la chair qui en imposent à cette sourde-muette que nous portons en nous. Ce n’est point assez d’une âme libre de ses propres mouvemens pour combattre des mouvemens qui ne sont pas libres de lui obéir. Il faut quelque chose de plus. Il faut l’éclat d’une vérité supérieure à toutes les individualités, et supérieure même à leur liberté, car toute liberté qui ne se soumet pas à l’évidence devient aberration ou tyrannie. On nous dit que cette vérité de consentement, qui est la vraie discipline des intelligences, ne peut naître que d’une religion théologique ou sociale.

De généreux esprits, prenant un effet pour une cause, ont cru l’apercevoir dans des formes sociales à imposer à l’humanité ; d’autre part, de nobles érudits, épris de leurs sujets d’étude, se persuadent encore aujourd’hui que, sans le prestige d’un culte et