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catholique ; mais le culte du peintre fut pour la seule beauté, et, quand il s’agit d’art, l’orthodoxie n’est que là.

Cet amour de la pure beauté, qui l’a dégagé des liens de l’ascétisme, l’a aussi préservé de la corruption à laquelle presque personne n’échappait autour de lui. S’il eût procédé uniquement de son siècle, il eût été épicurien comme Bembo, libertin comme Bibbiena, magnifiquement voluptueux comme Agostino Chigi, indécent comme le Sodoma. Qu’on décrive aussi complaisamment qu’on voudra les orgies de la renaissance, ses fêtes de nuit, ses larges festins ou plutôt ses ripailles gigantesques, dignes d’exciter la verve de Rabelais, — qui du reste allait venir, — on ne pourra mêler une seule fois à ces folies sensuelles ni la personne ni le nom de Raphaël. Les amours de ses contemporains, celles de ses amis, sont publiques et connues. On sait quelle fut la Morosina, cette femme célèbre par sa beauté avec laquelle se lia Bembo et qui lui donna trois enfans. On n’est pas non plus sans quelques renseignemens sur Imperia, la superbe maîtresse de l’opulent Chigi. De la jeune fille qu’aima passionnément Raphaël, qu’a-t-on à raconter ? Rien, sinon qu’elle se nommait Margarita, qu’elle était d’une beauté irrésistible, et que son amant lui demeura fidèle jusqu’à la mort. « Deux phrases de Vasari et deux portraits, dit Passavant, voilà tout ce qu’on a d’authentique sur la maîtresse de Raphaël. » Le reste n’est qu’un amas d’inventions qui tantôt se contredisent et tantôt sont aussi peu certaines que ce nom de la Fornarina, imaginé seulement au milieu du XVIIIe siècle. Un voile impénétrable jusqu’ici cache aux regards curieux de la postérité le mystère de leurs amours. En cela comme en toute chose, Raphaël diffère de son siècle, et lui donne la leçon au lieu de le prendre pour exemple. Dans sa libre affection, comme dans son œuvre païenne, la passion se revêt de décence et la volupté de candeur. En jugeant la liaison de Raphaël et de Margarita, l’histoire ne doit pas oublier cette circonstance atténuante. Il faut se souvenir aussi que cette jeune fille, qui l’inspira plus d’une fois, ne fit pas déchoir son génie. Avait-elle grandi en intelligence et en noblesse morale au contact d’une âme si rare ? Qui sait ? Quoi qu’il en soit, si devant la séduisante créature le cœur de l’homme faiblissait, devant ce modèle, quelque splendide qu’il fût et peut-être à cause de sa beauté même, l’artiste ressaisissait ses droits et sa puissance, et imposait à cette image accomplie, mais réelle, la forme plus parfaite encore de ses conceptions.

Nous venons d’étudier les antécédens historiques, les traits essentiels et les sources psychologiques de l’œuvre païenne de Raphaël. Que conclure de cette recherche par rapport aux caractères propres du génie de l’artiste ? Son originalité serait bien petite,