Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’il n’avait cherché que le plaisir pittoresque de faire de beaux corps, et c’eût été reculer fort en-deçà de l’art païen lui-même, qui dès l’époque de Périclès sut mettre l’âme dans le marbre. Une critique fondée sur les faits reconnaît que, loin de revenir en arrière, Raphaël a continué et mené à son terme un mouvement qui tendait, depuis les premiers jours de l’église, à fondre harmonieusement la beauté grecque et l’idéal chrétien. Il ne s’est point arrêté là. Un conciliateur de cette force domine les élémens qu’il accorde, et communique à ce qu’il réunit une fécondité inattendue. C’est ici que, selon nous, on touche au vif l’individualité de Raphaël. Supérieur à son milieu par l’intelligence et par le caractère, tout en mettant librement à profit ce que l’antiquité, le moyen âge et la renaissance elle-même lui avaient appris, il a découvert un idéal nouveau de beauté plastique, et au moyen de cette forme il a exprimé l’âme moderne. La supériorité de l’homme répond à celle de l’œuvre ; celle-ci est, pour la meilleure part, expliquée par celle-là, et toutes deux contiennent la raison d’une influence et d’une autorité dont l’histoire de l’art ne présente pas un second exemple. Les lois esthétiques que, sans les rédiger en formules, Raphaël a posées et consacrées en les appliquant, ces lois durent encore et dureront longtemps. Il a déterminé les conditions auxquelles la beauté nue peut devenir l’expression visible de l’esprit libre et du sentiment laïque des modernes. Il a montré comment un corps sans voile traduit avec autant de noblesse que d’éclat la sympathie, la douleur morale, la tendresse paternelle, l’amour ardent, l’oubli des offenses, les états de l’âme enfin, tels que les observe la philosophie en dehors de toute préoccupation de dogme établi ou d’orthodoxie religieuse. Depuis qu’il a ainsi réconcilié Vénus avec Psyché et le corps avec l’âme en laissant la prééminence à celle-ci, la plupart des grands peintres ont renouvelé périodiquement cette alliance de la beauté plastique avec la beauté invisible. Ils n’ont pas redouté la splendeur de la forme physique, ils n’ont pas pensé non plus que le but de l’art pût être un seul instant la nudité en elle-même, le signe dépouillé de signification. Ils ont senti que le nu est un langage ou merveilleux ou détestable, qui corrompt aussitôt qu’il n’élève plus, et qui, pour élever, ne doit rendre que ce qui est pur ou grand. Poussin, l’austère contemporain de Corneille, de Pascal et de Descartes, n’hésite pas à peindre la Vérité toute nue ; mais il la montre enlevée au ciel sur les ailes du Temps, qui la soustrait aux outrages de l’Envie. Lesueur, ce doux et virginal génie, a pu sans se démentir retracer l’histoire de l’Amour, qui se confond avec celle de Vénus, parce que la grâce naïve et chaste abonde dans ses compositions mythologiques. Le-