Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/860

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cela doit se faire ; plusieurs de ces travaux urgens sont décidés, décrétés et même commencés. Grâce au chemin de fer du Brenner, le commerce vénitien peut revivre. Le préfet de la province, M. Torelli, passe mentalement la moitié de sa vie en Égypte ; son antichambre est tapissée de cartes où le fameux isthme n’est plus qu’un détroit. A Venise, comme partout, l’Italie a d’abord créé des écoles ; celles que le municipe vient d’inaugurer réunissent déjà 3,800 écoliers. Une école normale, récemment fondée, prépare 90 institutrices, une bibliothèque circulante est ouverte pour le peuple et pour les prisonniers, une salle de lecture y est annexée, l’entrée coûte un sou. Un magasin coopératif vient de s’établir aux frais de 450 actionnaires, des banques populaires à l’allemande sont en activité, un institut technique et une école supérieure de commerce attirent de nombreux auditeurs. Les sociétés de secours mutuels comptent déjà 2,700 membres parmi les ouvriers. Des conférences publiques et gratuites sont faites le soir par les professeurs les plus distingués de la ville. Il importe de noter tous ces petits faits qui échappent au commun des voyageurs. Partout l’Italie a commencé par le commencement, et cette œuvre lente, mais sérieuse, a produit des effets déjà sensibles. L’intelligence publique s’est développée, et les plus humbles citoyens, dans l’Italie entière, ont des préoccupations, des intérêts et des besoins d’esprit qu’ils n’avaient pas. Le peuple amphibie des lagunes étonne par ses qualités et surtout par son patriotisme. Il reçoit de vos mains le papier-monnaie qu’il n’acceptait pas des Autrichiens. Il comprend et sent l’Italie ; en 1848, il a tenu deux ans sous les bombes, malgré le choléra, malgré la faim. Quand il s’agit de célébrer un grand événement, l’entrée du roi, le retour de Manin, il double son âme et sa vie, retourne dans le passé, redevient le Vénitien des grands siècles, il refait sa ville et rétablit la Venise d’autrefois. Le Grand-Canal, obstrué de gondoles de toute forme et de toute grandeur qui portent des pavillons, des boudoirs, des salles de festin tendues de velours et de soie, des draperies de pourpre dont les franges d’or et d’argent trament dans l’eau, des gondoliers vêtus de costumes éclatans empruntés à tous les siècles, tumulte éblouissant de formes et de couleurs harmonisées par l’infinie douceur de la lumière et du ciel, le Grand-Canal, où toutes ces embarcations agglomérées marchent ensemble, comme un seul corps et d’un même mouvement, semble un chemin qui marche. La nuit, cet essaim de gondoles illuminées passe lentement sous les grands palais noirs qu’elles éclairent l’un après l’autre, détachant de ces masses confuses des cintres, des ogives, de fières colonnades, d’élégantes collerettes de marbre, qui rentrent ensuite dans la nuit, — fantastique féerie qui devient solennelle et religieuse quand