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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/867

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418,000 à 460,000 ; est électeur tout citoyen qui paie un cens et qui sait lire et écrire. L’Italie travaille par ses écoles et par ses impôts à rendre le suffrage universel. Les journaux s’obstinent à dire que ces électeurs ne votent pas ; il en est ainsi peut-être à Naples et à Livourne, mais ailleurs, à Girgenti par exemple, on trouve jusqu’à 81 votants sur 100 électeurs. On a constaté encore que les députés élus obtiennent maintenant plus de voix qu’ils n’en réunissaient en 1861 ; les citoyens prennent donc peu à peu les habitudes parlementaires. Ils ne se groupent plus en coteries, ils se rangent en partis.

L’Italie devait en même temps se disloquer et se refaire en toute hâte, dénouer ou trancher sept nœuds gordiens, détacher ses provinces les unes des autres pour les renouer à Turin, les détacher de Turin pour les renouer à Florence, associer cent villes, cent peuples, et, tout en brisant leurs chaînes, les assujettir à de nouvelles lois. Elle devait de plus s’improviser grande puissance, se créer une armée, une marine, une diplomatie, se faire reconnaître par l’Europe hostile et changer un à un tous ses adversaires en alliés, soutenir deux guerres étrangères tout en combattant sans répit des millions d’ennemis intérieurs, les milices de l’église, les partisans des princes déchus, les conspirateurs, les camorristes, les bandes de brigands, protégés par la corruption et la lâcheté des campagnards plus encore que par la sauvage complicité des forêts et des montagnes. Eh bien ! elle a pu sans coup d’état ni prestige militaire, faible, mais libre, exténuée par une croissance trop prompte, mais soutenue par la justice de sa cause, se multiplier, se répandre, agir partout, suffire à tout. Elle est maintenant plus près du but, parce qu’elle commence à se connaître ; elle a été instruite et sauvée peut-être par ses revers. Les leçons de 1866, tout en lui donnant Venise, l’ont préservée des dangers de la gloire ; il est rare que les peuples vainqueurs restent libres. Les leçons de 1867 lui ont appris que les aventures et les surprises ne suffisent pas pour résoudre la question capitale de notre temps. Ce que l’Italie a fait prouve qu’elle a toute la vitalité qu’il faut pour accomplir ce qui lui reste à faire. Se reposer, reprendre haleine, ménager ses forces, ne pas s’épuiser en paroles, mais continuer son travail et relever son crédit, avant tout maintenir ses libertés ; voilà sa tâche. Ces libertés ont donné en peu de temps l’Italie entière au petit Piémont, elles donneront tôt ou tard à l’Italie la dernière province qui lui manque.


MARC MONNIER.