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hommes, on peut bien dire qu’il s’y est plus encore livré lui-même. Les sectes et les hérésies sont nées presque toutes au milieu de ces disputes souvent stériles, qui ont plus d’une fois compromis le fond même des doctrines et mis en péril de grandes religions.

Ce qu’il importe de constater comme un principe fondamental de la science, c’est que la religion est une conception métaphysique, une théorie, une explication synthétique de l’univers visible et invisible. Toutefois une théorie ne constituerait pas une religion complète, si elle restait à l’état d’idée et d’abstraction ; la religion n’est achevée que par l’établissement du culte. Or il n’y a qu’un seul culte possible, et l’étude des monumens anciens comparés aux religions existantes prouve qu’il n’y en a eu qu’un seul. En effet, une fois que Dieu est conçu comme un être intelligent dont la raison engendre les lois du monde et dont l’action produit la vie et le mouvement, l’homme sent son existence enchaînée à cette puissance infinie, qu’il conçoit comme analogue à lui-même, quoique de beaucoup supérieure. Cet acte de sentiment, cette reconnaissance du lien qui l’unit à Dieu est la première forme que prend la religion. La seconde est l’œuvre ostensible par laquelle cet acte de foi se manifeste au dehors. Cette œuvre, c’est le sacrifice ; cette manifestation, c’est le culte. Le culte a d’abord été personnel, domestique, célébré en famille par le père, entouré de sa femme, de ses enfans et de ses serviteurs ; puis il est devenu public : les familles se sont réunies autour d’un autel commun, le nombre des prêtres s’est accru, les églises se sont formées, et, les ressources de leurs membres étant réunies, il a été possible de donner au culte un développement, un éclat, un luxe, dont les religions domestiques n’étaient point susceptibles. Les faits que nous résumons ainsi peuvent être mis en lumière par une simple lecture du Vêda. Les hymnes indiens, dont la date est antérieure à celle de tous les livres connus, vont jusqu’à nommer comme d’antiques initiateurs ceux qui ont fait passer le culte de l’état domestique à la publicité ; ils les appellent Ribhous, et ce nom répond lettre pour lettre à celui d’Orphée, comme la légende du chantre de Thrace répond à celle de l’antique Ribhou.

Jusque-là toutefois le culte n’est que l’expression d’une idée, le symbole d’une théorie métaphysique. Cette théorie et ce symbole constituent toute la religion, considérée dans ce qu’elle a d’essentiel, car ces deux élémens des institutions sacrées sont les seuls qui se soient transmis de siècle en siècle, de peuple en peuple, et qui se retrouvent à toutes les époques, non-seulement dans les diverses branches de la race aryenne, mais aussi chez des peuples de race étrangère, anciens ou modernes. C’est là leur fonds commun, leur