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qui remplissaient ces rôles divers. Aucun laïque n’eût osé s’en charger, car ils faisaient encore partie intégrante du culte sacerdotal.

Naturellement ce n’était pas la partie du culte la moins goûtée des fidèles, et cette expérience engagea le clergé à reproduire aussi dans les églises par des espèces de tableaux vivans les points saillans de l’histoire biblique, ceux d’abord du Nouveau-Testament, le miracle de Cana, la multiplication des pains, la cène, la guérison de l’aveugle-né, la résurrection de Lazare et les paraboles les plus populaires, telles que celles de l’enfant prodigue et des vierges folles. La cérémonie annuelle du lavement des pieds est la plus ancienne, et seule elle est parvenue jusqu’à nous. L’Ancien-Testament eut son tour, et avec lui quelques souvenirs de l’antiquité païenne embaumés par la tradition catholique. A côté du roi David, d’Ésaïe, de Balaam sur son ânesse, on vit s’avancer Virgile et la sibylle, ces deux prophètes suscités du milieu des gentils. Les fêtes de Noël poussèrent à confectionner des crèches, des bœufs, des ânes peints. La légende voulait absolument que Jésus fût né au milieu de ces innocentes bêtes. Les bergers, les rois mages, Hérode, le petit Jean-Baptiste, les enfans de Bethléem, Anne la prophétesse, le vieux Siméon, vinrent à la suite, puis le personnel du paradis terrestre et Satan. Chacun chantait sa partie. De la sorte, et avant que les représentations de ce genre fussent bannies de l’intérieur des églises, la troupe des acteurs sacrés était au grand complet, le magasin des décors aussi, le grand drame de la rédemption pouvait être représenté depuis les jours de l’Éden jusqu’à la résurrection du Rédempteur; on peut même s’assurer que l’esprit de la comédie commençait à bégayer sous ces langes. Dans un vieux mystère[1] français du XIIe siècle, le serpent du paradis, repoussé par Adam, va trouver sa compagne et lui tient un langage qui amplifie très ingénieusement le texte canonique. « Tu es une gente et douce créature, fraîche comme rose, blanche comme neige. Ce n’est pas bien au créateur de t’avoir faite si douce et Adam si dur; mais malgré cela tu es plus fine que lui, et tu sais désirer les choses d’en haut. » C’est le chant grégorien qui servait à tous ces rôles divers. Quand

  1. J’écris mystère pour me conformer à l’usage. Au fond, je crois avec quelques savans allemands et français qu’on devrait écrire mistère, à l’exemple de nombreux manuscrits. Les drames primitifs n’avaient nullement pour but de représenter les mystères de la foi dans le sens occidental de ce mot grec, c’est-à-dire les vérités d’ordre surnaturel inaccessibles à la raison. C’est beaucoup plus tard qu’ils devinrent dogmatiques. A l’origine, ils reproduisent purement et simplement des événemens de l’histoire sacrée. Le mot mistère vient donc bien plutôt du latin ministerium, fonction, office, en vertu de la même contraction qui a fait métier de menestrer. C’est l’auto espagnol, la funzione italienne, et cette étymologie rappelle naturellement la période où ces représentations, faisant partie du culte, étaient dévolues au clergé, qui officiait en les donnant.