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Dieu lui-même parlait, trois voix mariaient leurs accens en l’honneur de la trinité. On peut faire remonter en France jusqu’au XIe siècle ces vastes représentations embrassant toute l’histoire biblique. En Allemagne, la plus ancienne composition connue est du XIIe siècle, et fait déjà figurer des abstractions personnifiées, telles que le Paganisme et la Synagogue, qui discutent savamment ensemble jusqu’à ce que l’Église, ayant à droite la Miséricorde et à gauche.la Justice, vienne les mettre à la raison en leur déroulant son Credo, qui se termine ainsi :

Quisquis est qui credit aliter
Hune damnamus æternaliter[1].


Il n’y a rien à répliquer à cela. C’est le prélude de toute une épopée dialoguée représentant l’avènement et la défaite de l’antechrist, et où l’empereur d’Allemagne a un rôle superbe. Un document très intéressant parce qu’il marque le moment où le drame religieux va quitter le latin liturgique pour adopter la langue usuelle, c’est une représentation dialoguée des vierges sages et des vierges folles composée au XIe siècle dans le midi de la France. Le Christ parle ou plutôt chante le texte de la Bible latine; mais il se traduit lui-même en vers provençaux, et les jeunes vierges n’emploient pas d’autre langue.

On s’aperçoit que le drame religieux, bien que faisant encore partie du culte, s’ouvrait par la force même des choses à des élémens qui n’avaient rien de très mystique. Ni Satan ni les vierges folles ne pouvaient parler comme le Christ ou les vierges sages. L’amusant se glissait donc à côté de l’édifiant; il ne tarda pas à se faire une large place. La grossièreté des mœurs, la naïveté de la foi, la tolérance du clergé, qui d’ailleurs prenait sa bonne part de l’amusement général, ces indéracinables fêtes païennes qui voulaient bien se faire chrétiennes, mais qui ne voulaient pas mourir, concoururent à donner à la farce des proportions toujours plus grandes. Dans le nord de la France en particulier, maître baudet se vit promu aux premiers honneurs. Il figurait à divers titres dans les représentations ecclésiastiques : il avait servi de monture à Balaam, à la vierge Marie fuyant en Égypte, au Seigneur entrant à Jérusalem; on le retrouvait encore autour de la crèche de Bethléem. On eût dit qu’il était l’animal sacré par excellence. A Rouen, et dans le personnage de l’âne parlant de Balaam, il remplissait un des premiers rôles lors des représentations précédant la fête de Noël. On le menait en procession à l’église, et quand Moïse, les pro-

  1. Qui que ce soit qui croit autrement, — nous le damnons éternellement.