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De France et de tout le pays.
Nous en rallons en paradis.

Tout était encore très naïf. Les acteurs étaient réunis au grand complet sur le théâtre pendant toute la représentation, y compris l’âne et le coq de saint Pierre. Chacun à son tour se levait pour venir réciter son rôle. Parfois on jouait à la fois en enfer et au paradis. Un explicateur annonçait le sujet, en éclaircissait les obscurités, donnait les signaux d’entrée et de sortie, prononçait le mot sile pour indiquer à l’acteur en scène, fùt-il le Christ lui-même, qu’il devait regagner sa place, et le mot silete pour obtenir le silence du public. C’était souvent un ange ou saint Augustin qui remplissait ce genre de fonctions, et l’illustre Africain ne se fut guère douté, aux jours de son épiscopat et lorsqu’il témoignait son aversion pour tout ce qui s’appelait théâtre, qu’une telle attribution lui serait un jour réservée. Les vêtemens des personnages étaient les mêmes que ceux figurés sur les tableaux d’église, de longues robes byzantines, le Christ et le grand-prêtre juif portant l’habit épiscopal. La nudité des âmes dans les enfers était figurée par une chemise passée sur les autres vêtemens. Seuls les petits enfans pouvaient se montrer au bon Dieu tels qu’il les a créés. La danse fait aussi son apparition dans certains mystères. D’ailleurs elle était encore en usage au XIIe siècle dans bien des églises comme acte religieux. A Limoges, elle conserva ce caractère jusqu’au XVIe siècle, en Espagne jusqu’au XVIIe Les Juifs dansaient devant Pilate en chantant. Dans un Jeu de Pâques allemand, il y a un pas des chevaliers se rendant au sépulcre : Wir wollen zu dem Grahe gan...

Les secrets pour faire illusion au spectateur commencent aussi à se perfectionner. Judas porte sous ses vêtemens un oiseau noir et les entrailles d’une bête morte, de sorte que, lorsqu’il se pend, son âme s’envole sous la forme de l’oiseau, que Béelzébub happe au passage, et ses entrailles se répandent conformément à la tradition. La verge de Moïse se couvre soudainement de feuilles et le figuier maudit devient sec instantanément. On sait même décapiter proprement les martyrs, et les têtes coupées font trois bonds en l’honneur de la Trinité, en laissant chaque fois couler une mare de sang. Ces petites malices n’empêchaient pas qu’on ne prît très au sérieux l’action représentée. La naïveté était grande, l’imagination très juvénile et très vive, et au milieu d’interminables longueurs nous tombons à chaque instant sur des détails dont la grossièreté révolte, mais dont l’ingénuité désarme. Par exemple, la vierge Marie, les mères des saints et des saintes dont la vie fait le sujet du mystère, accouchent sur la scène même, tandis que les anges