Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/970

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en effet de cette adjonction du Canada pour rendre illusoire tout projet de défense en cas de guerre avec les États-Unis, car comment espérer, avec une population clair-semée et de dispositions douteuses, que l’on ferait respecter une ligne de frontières de plus de 600 lieues d’étendue, de l’autre côté de laquelle se pressent par millions les annexionistes les moins scrupuleux de l’univers ? De même il était puéril de supposer que, par le seul fait de la confédération, le commerce du pays abandonnerait ses voies naturelles pour en adopter d’artificielles qui ne profiteraient qu’à l’association. Confédérée ou non, la Nouvelle-Écosse devait continuer à demander ses farines aux États-Unis plutôt qu’au Haut-Canada, et le Haut-Canada lui-même aura toujours plus d’avantage à vendre les siennes aux Américains de Buffalo qu’a les envoyer au loin à Halifax. Également le Bas-Canada ne renoncera pas en faveur d’Halifax à la commode proximité de Portland pour les exportations. Les intérêts des provinces maritimes n’étaient pas moins sacrifiés au point de vue financier. Avec une population de 200,000 âmes, le Nouveau-Brunswick avait réussi à doubler en dix ans ses revenus évalués en 1860 à plus de 5 millions de francs. La Nouvelle-Ecosse avec 300,000 âmes avait triplé les siens, portés en 1864 à plus de 7 millions. C’était une situation modeste, mais d’autant plus rassurante que la faible dette publique de ces états (40 millions de francs pour la Nouvelle-Ecosse) était amplement représentée par un utile ensemble de travaux publics, entre autres par un réseau de chemins de fer de plus en plus productifs. Le Canada au contraire entrait dans l’union avec une dette énorme pour un pays si insuffisamment peuplé, 312 millions, presque tous engloutis dans des dépenses extravagantes et improductives, telles par exemple que le trop célèbre Grand Trunk Railway. Le gouvernement de la Grande-Bretagne s’était donc départi des sages traditions qui lui sont habituelles en usant de toute son influence, comme il le fit ici, pour grouper en une confédération unique ses colonies de l’Amérique du Nord. Sans cette pression supérieure, l’affaire eût probablement échoué devant l’opposition des provinces maritimes, puisqu’au Nouveau-Brunswick le parlement avait même été jusqu’à voter ouvertement contre le projet. Quoi qu’il en soit, l’union finit par passer à l’état de fait accompli ; mais elle était si peu viable que, dès que le premier parlement fut assemblé à Ottawa, les protestations reprirent de toutes parts avec une nouvelle énergie, et les pétitions pour le rappel de l’union se multiplièrent rapidement, surtout dans la Nouvelle-Ecosse. On a même vu qu’elles ont fini par trouver un écho cette année jusque dans la chambre des communes d’Angleterre. La question en est là ; l’avenir dira qui avait raison.