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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/971

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Je n’ignore pas qu’on a souvent signalé l’attachement caractéristique des colonies anglaises pour la mère-patrie, ainsi que la loyauté (loyalism) de leurs habitans : c’est le terme consacré. Néanmoins la règle n’est point sans exception, et il est impossible au voyageur qui parcourt le Haut-Canada de ne pas s’apercevoir bientôt que cette loyauté si vantée n’est ici qu’une pure affaire de forme. Peut-être les anniversaires patriotiques seront-ils toujours aussi consciencieusement fêtés qu’en Angleterre, mais on n’en recommencera pas moins dès le lendemain à discuter ouvertement, publiquement, et sans le moindre scrupule, les avantages d’une annexion aux États-Unis. C’est le thème favori à Toronto par exemple, ville plus américaine qu’anglaise, et dont la prospérité, rapidement croissante, est surtout l’œuvre de l’immigration yankee de l’autre côté des lacs. Est-ce là que la Grande-Bretagne ira réunir ses forces en cas d’agression du côté de l’Amérique ? De quelle utilité lui seraient alors les provinces du littoral, reléguées à l’autre extrémité de cette immense base d’opérations, et peut-on croire que leurs milices songeraient sérieusement à se transporter d’Halifax aux bords du lac Ontario ? Nous avons rapporté l’ingénieuse saillie du député canadien qui donnait l’arc-en-ciel pour emblème à la future confédération ; un autre la comparait à une de ces cannes de pêche formées de morceaux emmanchés bout à bout. La poignée est solide, disait-il, et résistera : ce sont les provinces maritimes, qui feront corps avec le Bas-Canada ; mais combien cette résistance ne diminuera-t-elle pas à mesure que s’emmanchera chaque nouveau morceau, le deuxième à. Québec, le troisième à Montréal, le quatrième enfin, flexible et prêt à céder au moindre effort, de Toronto à Windsor et Détroit ! C’est cependant presque à l’extrémité de cette ligne imaginaire que doit siéger le parlement confédéré, dans la nouvelle cité d’Ottawa, ville inventée, on peut le dire, en l’honneur de la circonstance, et qui, loin d’offrir le contrôle salutaire d’une véritable capitale, n’aura comme Washington qu’une existence factice et officielle, où l’intrigue et la corruption se donneront libre carrière. De plus, les froissemens seront nombreux entre cette assemblée fédérale et les parlemens provinciaux qui continueront à fonctionner dans chacun des états confédérés, car la démarcation qui doit distinguer les attributions de ces deux pouvoirs est loin d’être bien définie, et malheureusement le pouvoir exécutif, représenté par le gouverneur-général à Québec, ne sera pas assez fort pour interposer son autorité. La session de cette année 1868 a été la première. La chambre haute était composée de - 76 membres, dits sénateurs, nommés à. vie par la couronne, et la chambre basse, ou des communes, de 194 membres, répartis proportionnellement à la population de la manière suivante :