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La vocation du jeune Ampère résista à la chimie comme elle avait résisté au calcul intégral. La poésie était son faible, et il s’y porta avec toute la verve de sa nature. Son père, une fois le premier deuil fait, s’accommodait très bien de cette ambition poétique de son fils. Bien qu’il fût en quelque sorte la science pure, il avait des curiosités de tout genre : la poésie n’était point exclue de son universalité ; il savait quantité devers par cœur, et lui-même il en avait fait pendant les ennuis amoureux et les courts intervalles de loisir de sa première jeunesse. L’idée d’avoir un fils poète, dont une belle tragédie serait jouée et applaudie au Théâtre-Français et qui viendrait prendre place à la suite dans le cortège de nos grands classiques, flattait son amour-propre paternel. Cette première veine d’Ampère, non contrariée, mais qui n’aboutit jamais à une franche manifestation et à un succès, fut très durable, très persistante, et se prolongea presque jusqu’à la fin sous l’œuvre critique et la culture d’histoire littéraire à laquelle il semblait exclusivement adonné. Il y avait chez lui un poète in petto qui reparaissait à l’improviste, au moment où l’on s’y attendait le moins ; qui chantait le Nil, Thèbes et Memphis, au sortir de l’explication d’un hiéroglyphe ; qui soupirait une plainte élégiaque dans le temps qu’on le croyait tout occupé de perfectionner un essai de grammaire romane. Cette diversité de goûts, en s’entre-croisant, se nuisait mainte fois. On assure qu’il ne cessa de concourir incognito pour les prix de poésie de l’Académie française jusqu’à l’époque où il en fut. Il avait fait jusqu’à sept tragédies, présentées et plus ou moins reçues au Théâtre-Français ; elles y dormaient et y dorment encore sans doute dans les cartons à côté de celles de M. Viennet ; il disait quelquefois en riant : « Si l’on voulait me jouer un mauvais tour, ce serait d’en mettre une en répétition. » Mais il ne riait qu’à demi en disant cela, et il n’eût peut-être pas été très fâché que l’idée en vînt à d’autres. Je ne prétends point anticiper en ce moment, ni préjuger quelques-unes des pièces de vers assez spirituelles et agréables qu’on a de lui ; mais il est certain qu’à sa sortie du collège, en cette mémorable année 1819 où Lamartine se révélait par ses premières Méditations, où Victor Hugo adolescent s’essayait déjà par des odes touchantes et pures, où André Chénier apparaissait comme un jeune moderne dans ses œuvres pour la première fois recueillies, Ampère, ardent, exalté, enthousiaste, ne rêvait que la palme et le laurier. C’est vers ce temps, ou peu après, qu’il méditait un poème d’Attila, et qu’il composait, d’après Manzoni sans doute, une tragédie d’Adelghis sous le titre de Rosemonde. La couleur locale le tentait fort : il s’y essayait à demi. Son père, premier confident de toutes ses élucubrations poétiques, ne le décourageait