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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/175

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la seule menace d’un tel acte politique suffit pour vaincre l’opposition de la majorité, car, extrêmement jaloux de leurs privilèges, les lords n’aiment point du tout qu’on les étende à un plus grand nombre de membres. Le ministère, quel qu’il soit, n’exerce d’ailleurs cette pression que dans des cas très graves et pour ainsi dire à la dernière extrémité. En 1856, lord Palmerston avait voulu nommer des pairs anglais à vie ; mais la chambre refusa de le suivre dans cette voie. Un des argumens que font valoir les partisans de l’hérédité est qu’une chambre des lords élective dégénérerait bien vite en un docile sénat destiné à servir les caprices et les vues du chef de l’état.

Quoique la pairie se transmette avec le sang, on cite du moins quelques cas où cette prérogative a été sinon reconquise, du moins redorée par le génie. Ayant atteint l’âge de vingt et un ans, Byron se souvint qu’il était pair d’Angleterre, et, sans un ami pour l’introduire, alla contre l’usage se présenter lui-même à la chambre des lords. Il fut reçu dans une des antichambres par quelques-uns des officiers de service, auxquels il paya les frais de son installation. L’un de ces huissiers sortit alors pour prévenir le lord-chancelier qu’un inconnu nommé George Gordon Byron était là, et demandait à siéger. Quand il entra dans la salle, le jeune pair était plus pâle qu’un spectre ; on lisait sur ses traits mâles et expressifs l’indignation de l’orgueil humilié. Il passa devant le sac de laine sans y jeter un regard, et s’avança vers la table où le magistrat d’office devait recevoir son serment. Le chancelier quitta enfin sa place, et, allant droit à lord Byron, lui tendit la main avec un soupire. Offensé, le nouveau-venu se contenta de répondre par un mouvement de tête et de présenter l’extrémité des doigts. Il y avait peu de monde dans la salle, et la séance était morne. Lord Byron alla négligemment s’asseoir sur l’un des bancs vides qui s’étendent à la gauche du trône et qu’occupent d’ordinaire les membres de l’opposition, puis il sortit au bout de quelques minutes. Les causes de cette froide réception sont assez connues : le grand-oncle de lord Byron avait été jugé par la chambre pour avoir tué en duel M. Chaworth d’Annesley ; son père, après une vie orageuse, s’était éteint dans l’obscurité, et quant à lui il n’était encore connu dans le monde que par des essais (The Hours of idleness). Il n’en fut pas moins profondément mortifié de son isolement et de la. négligence de ses nobles confrères à son égard. « Je veux n’avoir rien à faire avec eux, dit-il en sortant à son ami Dallas ; maintenant que j’ai pris possession de mon siège, je pars et je m’en vais vivre à l’étranger. » Plus tard, quand il eut redonné de l’éclat à un nom terni, Byron prononça devant la chambre quelques discours qui produisirent un