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remplissent encore aujourd’hui des fonctions judiciaires. Il ne faut point oublier que la chambre des lords est la suprême cour de justice du royaume, le dernier tribunal d’appel pour les jugemens rendus par tous les autres tribunaux. Cette juridiction ne peut d’ailleurs s’exercer que par un très petit nombre de pairs ayant fait du droit l’étude spéciale de toute leur vie.

Les vraies séances ont lieu la nuit, comme à la chambre des communes ; mais quelle opposition de figures, de situations et de mœurs entre les deux assemblées ! Certes personne n’oserait refuser à la chambre des lords l’éclat des noms et des talens : que lui manque-t-il donc ? La vie ; elle ressemble trop à un musée de gloires nationales. Les réunions sont d’abord peu nombreuses et comptent rarement dans les cas ordinaires plus d’une soixantaine de. membres ; trois suffisent pour rendre une décision légale. Parmi, les membres de l’aristocratie anglaise, plusieurs voyagent à la. recherche : d’un meilleur climat, d’autres grands amateurs d’objets d’art, de scènes émouvantes ou de plaisirs, ont vraiment très peu d’opinion politique, et abandonnent volontiers à des mains plus exercées le fardeau des affaires. Peut-être aussi la chambre haute a-t-elle la conscience du peu de pouvoir qu’elle exerce sur l’opinion publique. Les Anglais sont fort revenus, quoi qu’on en dise, de la superstition du sang. Richesse, autorité, influence sociale, l’aristocratie britannique possède tout cela, et pourtant ce n’est plus aujourd’hui ce que nos voisins appellent la classe gouvernante. Il y a sans doute quelques descendans d’anciennes familles qui, formés de bonne heure aux usages du monde, héritiers des grandes traditions de leur parti, élevés dans les universités d’Oxford ou de Cambridge, où ils portent un costume qui les distingue des autres étudians, initiés très jeunes aux mystères de la vie politique et rompus aux luttes de la parole, dédaignant les faciles jouissances de l’oisiveté, aspirent à jouer un rôle dans l’état. Ils y parviennent pour la plupart, mais à la condition d’être de leur temps et de sacrifier bravement leurs goûts, quelquefois même les intérêts de leur caste, à l’invasion lente, pacifique, inéluctable de la démocratie. Les titres de noblesse peuvent bien encore désigner le talent et le mérite personnel à l’attention du pays ; qu’ils sont loin de les suppléer ! L’aristocratie britannique tient la terre, ou plutôt c’est la terre qui la tient ; mais, si par la fortune et les lumières elle règne jusqu’ici dans les campagnes, son influence est assez faible dans les villes. La pairie a dû nécessairement beaucoup perdre de son ancien prestige en un siècle où la valeur des hommes d’état se mesure surtout à leurs œuvres, et où il ne suffit plus de montrer une longue suite d’aïeux, pictos ostendere vultus, pour gouverner les