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masses. Tout en respectant le principe d’hérédité appliqué à certaines fonctions publiques, les Anglais d’aujourd’hui n’accordent leur confiance et leurs vives sympathies qu’aux représentans qu’ils se choisissent eux-mêmes. On ne se préoccupe guère de la chambre des lords que quand il s’agit d’obtenir sa sanction en faveur d’une loi qu’elle n’a point faite, dont elle a même souvent toute raison de craindre les conséquences, et que veut lui imposer, bon gré, mal gré, la chambre élective.


II

Dans la nuit du 29 au 30 juin 1868, l’assemblée des pairs s’était comme transformée. Elle ne ressemblait plus du tout à la définition qu’en donnait un jour Thackeray, « un olympe sans dieux ; » les dieux étaient revenus. A la solitude dont se plaignent trop souvent ces voûtes dorées avaient tout à coup succédé le bruit, l’éclat, une mise en scène imposante. Au dehors, la salle d’attente, Saint-Slephen’s hall, était bordée dans toute sa longueur d’une double haie d’étrangers qui sollicitaient la faveur d’être admis dans les galeries de la chambre, et combien d’entre eux espéraient contre tout espoir ! L’opinion publique, d’ordinaire très indifférente envers les décisions des lords, s’était réveillée comme en sursaut, se souvenant qu’après tout il existe, selon la constitution anglaise, un second pouvoir dans l’état. Le vestibule, les couloirs, les escaliers, étaient assiégés par une foule épaisse et curieuse. Les huissiers, revêtus de soie, véritables maîtres des cérémonies, allaient et venaient d’un air affairé. L’enceinte de la chambre elle-même présentait un grand spectacle. Les marches du trône étaient occupées par une colonne serrée de conseillers d’état, privy councellors, qui ont le privilège de remplir cette incommode place d’honneur. Les membres de l’autre chambre, rangés soit en bas et de plain-pied avec les pairs, soit dans la tribune supérieure qui leur est réservée, se pressaient en quelque sorte autour de l’événement de la soirée. Les femmes de l’aristocratie en magnifique toilette, les unes assises, les autres debout, et pour ainsi dire écoutant aux portes, tant les galeries étaient encombrées, répandaient sur cette grave réunion un charme d’élégance et de beauté. Un grand nombre de lords étaient à leur poste, et parmi eux, à la blancheur des surplis, aux ornemens d’église, se faisait remarquer le banc des évêques. On désignait d’un autre côté un groupe à part composé du prince de Galles, du duc d’Edimbourg et du duc de Cambridge. Une atmosphère chargée d’attente et de préoccupations sérieuses pesait sur