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J’ai hâte pourtant d’en venir au littérateur, à celui qui mérite d’occuper le public et que nous avons à étudier. Ce fut Fauriel qui coupa court à cette première ébullition poétique sans objet bien précis, et qui le mit dans sa vraie voie, la critique sérieuse et la littérature comparée. Ampère, docile à Fauriel, étudia quelque temps sous lui le sanscrit, en même temps que Fresnel, sous la même impulsion, se livrait à l’arabe[1]. C’est Ampère qui fit faire à M. Mérimée la connaissance de Fauriel. La première fois que M. Mérimée le vit, Fauriel avait sur sa table un ouvrage qu’il lui montra. « Voici, dit-il ; deux volumes de poésies serbes qu’on m’envoie ; apprenez le serbe. » C’est ainsi que ce vrai savant, ennemi des à peu près et des faux semblans, adressait chacun aux sources mêmes. Ampère, selon ceux qui l’ont le mieux connu, avait une aptitude particulière pour la linguistique. Il saisissait tout de suite, dans une grammaire qui lui tombait sous la main, les singularités d’un idiome et sa physionomie. Il avait très vite appris assez de chinois pour lire couramment un livre dans cette langue. Il n’avait qu’à vouloir pour avoir ses entrées directes dans une quelconque des littératures européennes ou orientales. En ce sens, il est dommage sans doute qu’il n’ait pas persévéré vers un but et dans une ligne : il aurait tracé son sillon ; mais Ampère n’était pas un Eugène Burnouf : sa vocation, à lui, était multiple, mobile et diverse. C’était un libre promeneur. Dès qu’il se sentait un peu maître d’une étude et qu’il l’avait pénétrée par l’esprit ; il passait à une autre ; croyant pouvoir chasser plus d’un lièvre à la fois. Son gibier le menait ainsi sur bien des pistes.

Le résultat littéraire de ses nouvelles études se produisit d’abord agréablement dans des articles du Globe : le dépouillement exact de sa contribution à ce journal n’a jamais été fait ni par d’autres ni

  1. Fulgence. Fresnel, ce disciple de Fauriel et digne frère de l’illustre physicien, mériterait d’être arraché à l’oubli. C’était un esprit de la meilleure trempe et qui était des plus faits pour marquer parmi ceux de sa génération ; des circonstances personnelles le poussèrent vers l’Orient, où il vécut nombre d’années. Il mourut à Bagdad pendant l’expédition scientifique de la Mésopotamie, le 30 novembre 1855, à l’âge de soixante ans, étant né le 15 avril 1795. Il serait à désirer que le frère survivant de Fresnel publiât quelque chose de ses travaux.