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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/182

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montré grave, autant le très révérend Samuel Wilberforce manie avec une rare habileté l’arme de la plaisanterie anglaise. Fertile en bons mots, en anecdotes, en allusions, frisant quelquefois le trivial, mais avec la légèreté savante d’un lettré maître de la langue et rompu aux études classiques, changeant de ton et d’expédiens oratoires à volonté, tour à tour amusant, vigoureux et pathétique, il est certainement un des types de l’éloquence qui réussit le mieux auprès de nos voisins. On l’a défini « un Garrick en manches de linon. » Il y a très certainement du comédien dans sa manière, mais il y a aussi du théologien, du rhéteur et de l’homme d’affaires. Certes l’évêque d’Oxford ne cherche nullement à dissimuler sa sollicitude pour les intérêts matériels de l’établissement[1] qu’il veut sauver. Dire que l’église protestante d’Irlande tomberait du jour où elle ne serait plus appuyée à l’état ni soutenue par les dîmes de la population irlandaise, n’est-ce point s’attirer la réprimande du maître : « O hommes de peu de foi ? » L’évêque d’Oxford avait été entraînant, ironique et passionné, lorsque après quelques discours beaucoup moins remarquables se leva du sac de laine le grand-chancelier, lord Cairns. On n’ajoutera rien à la masse des argumens qu’il fit valoir en faveur du maintien de l’église d’état en Irlande. Il fut admirable ; sa parole a toute la précision, l’autorité, l’énergie des magistrats anglais, sans en avoir la sécheresse ni la lourdeur. Deux heures et demie du matin venaient de sonner à l’horloge de Westminster. Le bill fut repoussé par une majorité de 95 voix.

Pour qu’on comprenne bien la situation dans laquelle se trouve maintenant vis-à-vis du pays la chambre des lords, il nous faut revenir sur ce qui s’était passé dans l’autre chambre au moment où avait été votée la proposition de M. Gladstone. Le cabinet, M. Disraeli en tête, venait d’éprouver une défaite, et l’usage du parlement voulait qu’il se retirât. On comprend très bien qu’un roi qui n’intervient jamais dans les affaires de son royaume échappe aux conséquences des actes qui s’accomplissent en son nom ; mais qu’un ministre qu’on a constamment devant les yeux en chair et en os, qui parle, qui agit, soit l’ombre irresponsable de la volonté du chef de l’état, c’est une fiction que n’a point encore admise le bon sens pratique des Anglais. M. Disraeli demanda quelques jours de répit, et à la suite d’une entrevue avec la reine, il laissa entendre que sa démission avait été refusée. Cette déclaration, quoique faite en termes très vagues, souleva une tempête dans l’assemblée. Bondissant sur son banc, M. Bright osa traiter le ministre de rebelle (worse than a fenian, pire qu’un fenian), pour avoir mis

  1. C’est le mot anglais, establishment, established church.