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d’influence directe sur l’ennemi ; tout au plus contribuera-t-elle à éteindre les germes de mécontentement dont se nourrit l’agitation feniane. La vérité n’est-elle point que l’Irlande, quoique très attachée à ses anciennes traditions catholiques, comprend toute la première les dangers qu’elle courrait en donnant trop de pouvoir à son clergé ? Le fenianisme d’un autre côté ne se maintient que par les justes griefs sur lesquels il s’appuie ; livré à lui-même, il est très faible. Il a bien pu arracher en plein jour des prévenus aux mains de la police, faire sauter les murs d’une prison et atteindre d’une balle un des fils de la reine ; mais jusqu’ici il n’a point ébranlé une seule pierre de l’édifice social fondé sur la liberté. L’arme la plus victorieuse pour le combattre est la logique. Tout ce qu’on accorde à l’Irlande est autant d’enlevé au foyer de la révolte. Il importe assez peu d’examiner si, comme le prétendent les évêques protestans, les Irlandais entendent très mal leurs intérêts en réclamant contre l’institution dont on a bien voulu les honorer : le fait est qu’ils réclament. De deux choses l’une, ou l’église établie est un bienfait pour l’Irlande, ou c’est une charge ; si c’est un bienfait, il n’y a aucune raison pour le continuer à des hommes qui s’en montrent si peu reconnaissans, et si au contraire c’est une charge imposée par la race conquérante à la race conquise, l’équité veut qu’on l’abolisse.

Dans toute cette affaire, le clergé anglais, et je le regrette sincèrement, a bien plus l’air de défendre sa bourse que de combattre pour ses croyances. Il tient beaucoup sans doute à sa suprématie en Irlande ; mais qu’il se montre encore bien autrement jaloux des avantages matériels qui s’y rattachent ! De tous les clergés, c’est pourtant celui qui est le moins fondé à se plaindre quand le parlement lui demande des sacrifices. En acceptant et recueillant autrefois la succession de l’église catholique romaine, l’église d’Angleterre a par cela même reconnu à l’état le droit d’intervenir dans la destination et le maniement des biens ecclésiastiques. Le gouvernement crut alors servir l’intérêt général en retirant les dotations d’un sacerdoce qui ne répondait plus aux besoins des temps ni aux vues de la nation pour les transférer à un autre beaucoup mieux en harmonie avec les tendances de l’esprit moderne. Ces motifs, qui déterminèrent alors la conduite des autorités civiles, ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux qu’on invoque aujourd’hui contre l’existence de l’église établie en Irlande. Il ne s’agit nullement cette fois de dépouiller un clergé au profit d’un autre ni de chercher le véritable type des croyances nationales. L’état obéit à des considérations d’un ordre beaucoup plus pratique. Il se demande s’il ne conviendrait pas de rompre le lien qui l’attache à l’église anglicane