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d’Irlande, parce que cette église a failli à sa mission et déplaît souverainement aux Irlandais. On attendait d’elle une victoire en faveur du protestantisme, et elle a fortifié la résistance aux idées de la réformation[1]. On lui demandait de rallier à la mère-patrie des sujets fidèles, et elle a créé des fenians. Une institution ne répondant point du tout, après trois siècles, au but pour lequel on l’avait fondée trouve difficilement grâce auprès de nos voisins, qui consultent en tout la question d’utilité. Un arbre se juge à ses fruits : où sont les fruits de cette expérience ? En ne faisant pas de bien, l’église officielle a fait du mal, car elle a entretenu au sein des populations dissidentes l’animosité contre l’Angleterre. Payée à contre-cœur, jalousée par le clergé indigène, étrangère sur la terre conquise, elle a servi à perpétuer de tristes et irritans souvenirs. L’esprit de contradiction envers les maîtres, cette dernière arme des vaincus, a endurci le cœur des Irlandais dans la foi aux doctrines de Rome. Ils se sont ainsi habitués à attendre leur délivrance du dehors, aujourd’hui de la France, demain des États-Unis d’Amérique. Dans ces circonstances critiques, l’état n’a-t-il point le droit de reprendre à l’église anglaise ce qu’il lui a donné ? On l’avait comblée de biens pour qu’elle accomplît une œuvre, et elle a été inutile.

La mesure que proposent les libéraux pour pacifier l’Irlande contient deux clauses très distinctes, le disestablishment, c’est-à-dire le retrait du privilège accordé à l’église d’état, et le disendowment ou recouvrement d’une partie des biens qui lui avaient été affectés. C’est la menace de cette seconde tentative qui a surtout excité chez le clergé anglais un frémissement d’inquiétude. Tous les pays ont leur spectre rouge ; chez nos voisins, ce spectre se nomme la spoliation, et il manque rarement son effet chez un peuple riche, très attaché aux droits de la propriété. De même que dans une foule, quand quelqu’un crie « au voleur, » tout le monde met la main dans ses poches, ainsi tout corps de l’état qui se dit dépouillé est à peu près sûr de jeter l’alarme dans la société britannique. L’aristocratie, la classe moyenne, les ouvriers eux-mêmes, ont tant d’intérêts communs à défendre qu’ils tremblent à l’idée de voir n’importe qui dépossédé. Il s’agit pourtant de savoir ce qu’il y a derrière ce fantôme dont l’église anglicane juge à propos d’exploiter les terreurs. La proposition de M. Gladstone déclarait que tous les droits personnellement acquis seraient sauvegardés. On n’abolira pas l’église établie en Irlande, elle s’éteindra. Le ministre

  1. La preuve est que les Irlandais émigrés et fixés en Amérique perdent beaucoup de leur fanatisme religieux. Sur cette terre vierge où rien n’alimente l’hostilité des croyances, ils appartiennent bien plus à l’Union qu’à leur propre église.