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protestant investi d’un bénéfice mourra dans son presbytère, et toute la vie continuera de jouir des avantages que lui confère aujourd’hui sa charge, A supposer même qu’on rachète ses services et ses droits pour une somme d’argent, ce sera toujours avec son consentement, et lorsqu’il aura bien reconnu que la compensation offerte par l’état est suffisante. Ce n’est donc pas lui du moins qui sera spolié. Il y a longtemps qu’un esprit éminent et vigoureux, ayant le rare courage de regarder les questions en face, M. Stuart Mill, avait fait justice de ces artifices de langage[1]. « Il n’y a point de perte, disait-il, quand on ne sait et ne peut dire qui a perdu. Les lois sur la propriété ont été faites pour la protection des hommes et non des phrases. Aussi longtemps que l’on n’enlève point le pain à nos semblables, nous nous inquiéterions assez peu, quand même tout le dictionnaire anglais irait demander l’aumône dans les rues. Que ceux qui regardent comme un vol pour une nation de reprendre ce qui lui appartient nous disent à quelle personne on a fait tort, non à quelles lettres ou à quelles syllabes. » Tout compte fait, on trouvera, si la mesure s’exécute, qu’il n’y a eu de dépouillé qu’un être déraison, — l’église.

Est-il d’ailleurs vrai de dire qu’on veuille lui enlever quelque chose qui lui appartienne ? Détourner d’elle la dîme, l’argent des laïques, n’est à coup sûr point un acte d’extorsion. Tout le monde sait que l’extorqué est ici le paysan catholique d’Irlande. Il est vrai que l’église établie possède en outre des biens très considérables connus sous le nom d’endowments, dotations. L’état touchera-t-il à ces biens, et dans quelle mesure ? C’est un point à déterminer plus tard par les débats des deux chambres. Déclarons pourtant tout de suite que les Anglais, tout en respectant les anciennes fondations, se demandent jusqu’à quel point ils se trouvent liés par la volonté des morts. De ce qu’un homme qui a vécu il y a plusieurs siècles crut bien faire en laissant sa fortune à une œuvre quelconque, s’ensuit-il que cette œuvre soit nécessairement utile ? S’il était donné aux anciens donateurs de revenir à la lumière, beaucoup parmi les plus intelligens d’entre eux reconnaîtraient sans doute l’avantage de refaire leur testament. Qu’on suppose, par exemple, des fonds laissés autrefois à une université quelconque pour établir un cours d’astrologie judiciaire ; nul, je crois, ne trouverait à redire dans le cas où ces mêmes fonds seraient appliqués <de nos jours à une chaire d’astronomie. L’église anglicane paraît bien avoir reconnu elle-même la vérité de ce principe. Parmi les biens dont elle jouit, une

  1. Dissertations and discussions political, philosophical and historical, by John Stuart Mill. — Voyez, t. Ier, Corporations and church property.