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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/198

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pas certaines vérités, l’Angleterre n’a point été favorisée sous le rapport de l’art. Il ne s’y est point épanoui comme dans d’autres états que l’Angleterre surpasse d’ailleurs sous plus d’un rapport. Les notions relatives à l’art, aimées ou comprises d’une élite peu nombreuse, n’ont point jusqu’ici pénétré dans les masses. On s’est aperçu de l’infériorité que cette sorte d’ignorance communique aux produits de tout un peuple, et l’on n’a trouvé à cela qu’un remède, la culture intellectuelle de l’ouvrier et l’enseignement spécial du dessin dans les écoles professionnelles. Cette question est même devenue d’intérêt public, on pourrait presque dire national, et ce n’est point sans raison.

Si le dessin est la langue de l’industrie, il a droit de cité à coup sûr dans l’industrielle Angleterre. Ce qu’on a regardé si longtemps comme un art d’agrément est bien en effet une langue, langue universelle, indispensable, et qui, tant qu’il y aura une civilisation humaine, ne semble pas devoir mourir. Le dessin ne nous aide-t-il pas à saisir au moyen de quelques lignes significatives des choses que plusieurs pages écrites avec la plus grande précision, accompagnées même de notes et de commentaires, ne nous feraient pas aussi bien comprendre ? Tel est le motif, d’ailleurs assez plausible, qui porte avec raison quelques réformateurs à demander avec instance : que l’enseignement du dessin proprement dit précède celui de ce dessin abstrait qu’on nomme l’écriture. Nous entendions un jour dire par une personne intelligente : « Je saurai toujours mauvais gré à ceux qui m’ont élevé de ne m’avoir pas fait apprendre, avec ma langue maternelle, et de préférence aux langues mortes, les deux langues vivantes. » Ces deux langues vivantes, c’était la musique et le dessin. Nous n’avons pas du reste à nous appesantir sur les avantages immédiats qui doivent être retirés de ce qu’on pourrait appeler les cours d’art pratique. Ces avantages, on commence à s’en rendre compte partout, et c’est, ce qui explique la faveur avec laquelle a été accueillie chez nos voisins une tentative hardie, la fondation à South-Kensington d’une sorte de métropole d’art, à la fois école et musée. Nous avons vu à l’exposition de 1867 quelques-uns des résultats que cet établissement a produits, et ils sont de nature à faire réfléchir. Il n’est nullement impossible que les Anglais, partis de plus loin que nous au point de vue de l’objet qui nous occupe, moins favorisés sous le double rapport de la tradition du passé et du génie de la race, avec la vigueur de volonté qui les caractérise, leur ténacité, leur persistance dans ce qu’ils ont une fois résolu, ne viennent à prendre rang à conquérir l’art et le goût par la science et à transmettre l’un et l’autre aux générations qui suivront. Leurs efforts méritent cette récompense. On