Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vapeur. Au-delà du cap Yakan, la glace se dirige de la terre vers le nord, et se trouve emportée par ces courans qui la dispersent dans la mer libre de Wrangel en fragmens assez espacés pour permettre à un navire d’y circuler sans danger. D’un certain point entre les caps Recouanaï et Chelagskoï, la direction à suivre serait celle du nord au nord-ouest, selon ce que permettrait la glace, jusqu’au nord des îles Laakhow, où l’on commencerait à subir les effets des courans qui proviennent des fleuves de l’Asie septentrionale. De là, il faudrait aller droit au pôle ou aux îles du Spitzberg, selon les circonstances… Que le passage du Pacifique à l’Atlantique s’accomplira par l’une des routes indiquées ci-dessus, j’y crois aussi fermement qu’on peut croire à un événement à venir. »

Une lettre du capitaine Long, adressée d’Honololu au président de la Société de géographie de France sous la date du 5 juin 1868, confirme les détails qui précèdent, et renferme des indications très précises sur l’état de la mer au nord de la Sibérie. « La dernière saison, dit-il, a été très favorable aux explorations polaires ; la mer près du rivage, en allant du détroit de Behring vers l’est, était libre de glaces. Quand nous fûmes à 40 milles au nord du cap Chelagskoï, on n’apercevait du haut des mâts aucun vestige de glace dans les directions comprises entre le nord et l’ouest. Le temps était clair et beau, le ciel dans cette direction était d’un aspect sombre et brumeux (dark watery appearance). L’absence des baleines dans ces parages rendait la continuation du voyage peu profitable ; je revins donc vers l’est, et je passai à moins de 10 milles en-deçà du point où Wrangel avait vu la mer libre au mois de mars. Au nord de cette position, il y avait quelques plaques de glace très espacées, et je crois qu’un navire aurait pu s’avancer très loin sans rencontrer d’obstacle. Avec un navire bien équipé, je n’aurais point hésité à tenter le passage à travers la mer polaire jusqu’au Spitzberg ; mais avec ma barque, qui n’était pas préparée à subir la pression des glaces, et avec des provisions pour quatre mois seulement, c’eût été de la folie. » Le capitaine Long insiste ensuite sur le fait bien constaté que les vents du nord et du nord-ouest amènent au Cap-Nord des brouillards et une élévation de température qui semblent indiquer la présence d’une mer libre dans la direction du nord. Tel est le dernier état de la question et le résumé de ce qu’on sait aujourd’hui sur les mystérieuses régions qui entourent le pôle boréal. Tout fait espérer qu’avant peu un navire heureux et hardi tracera son sillage dans cette mer inexplorée, reconnaîtra ces terres, habitées peut-être, et dont hier encore nous ignorions l’existence, affirmera enfin aux extrémités mêmes du monde la puissance et l’énergie de l’homme. La science théorique attend de grands résultats des observations qu’on pourra faire au pôle, et quand la théorie marche, la pratique s’en ressent toujours. Ne marquera-t-elle pas d’ailleurs une date importante dans l’histoire de l’humanité, l’expédition qui nous fera connaître le dernier point de notre domaine, jusqu’ici soustrait à nos investigations ?


OCTAVE PAVY.