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peuplent les étables ; mais la spéculation sur le lait, si florissante dans le reste de la Normandie, est ici inconnue : on fait des élèves, on engraisse des bœufs. Tous ces animaux appartiennent à la race locale, fort perfectionnée depuis cinquante ans par une meilleure nourriture. L’exposition du bétail était belle et nombreuse ; on voyait bien que là surtout était la richesse agricole.

D’une hauteur, l’aspect du pays est charmant. Les prés et les champs sont entourés de grandes haies plantées d’arbres, d’où vient le nom de Bocage. De près, l’effet est moins heureux, les haies bornent la vue de tous côtés. A mesure que la division du sol fait des progrès, le nombre de ces clôtures s’accroît. Multipliées à ce point, elles ont de sérieux inconvéniens pour les récoltes. On sera forcé tôt ou tard de les réduire. Les habitations rurales ont un assez pauvre aspect, comme dans toute la Normandie, mais il ne faut pas juger par là de l’aisance des cultivateurs. Les salaires ruraux, comme les salaires industriels, ont doublé depuis cinquante ans. La nourriture du paysan est meilleure que dans les trois quarts de la France, et la population tout entière a un air remarquable de force et de santé.

A côté de ces cultures modestes, mais prospères, le pays présente depuis quelques années un magnifique exemple de grande culture. Hors des limites du canton de Flers, mais toujours dans l’arrondissement de Domfront, un riche fabricant de capsules pour les fusils, M. Gévelot, a acheté 500 hectares de bois qui appartenaient pour la plupart à l’état. Jl y a fait construire une ferme dont les bâtimens ont coûté, dit-on, plus de 500,000 fr. Une écurie pour 48 chevaux de travail, une vacherie pour 50 vaches à lait, 3 bergeries pour 1,500 moutons, une bouverie pour 200 bœufs à l’engrais, une grande porcherie, forment trois côtés d’un large rectangle, dont une belle maison d’habitation occupe le quatrième côté. Toutes ces écuries sont surmontées d’immenses greniers communiquant entre eux par des chemins de fer. Une machine à vapeur, placée au centre, fait marcher toute sorte de machines accessoires. Pour construire cette ferme sur le sommet d’une colline, il a fallu enlever 100,000 mètres cubes de déblais. Si le spectacle des bâtimens est imposant, celui des terres ne l’est pas moins. 400 hectares ont été défrichés en six ans, pendant la crise du coton, on y a employé 1,000 ouvriers par jour. 150 hectares de prairies et 300 de terres arables ont remplacé les anciennes broussailles, et à perte de vue s’étendent de superbes récoltes, 70 hectares de blé, 70 d’avoine, 80 de prairies artificielles, 35 de betteraves, 22 de sarrasin. Les haies qui encombrent le reste du pays ont disparu. Il y a peu d’exemples d’une entreprise aussi gigantesque menée avec autant de promptitude et de résolution. L’Association normande a décerné une de ses médailles à M. Gévelot.

Les habitans du pays, accoutumés à une culture infiniment moins coûteuse, ont peine à comprendre ces énormes dépenses. Quand tout sera