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égards d’être accueilli avec la confiance qui s’attache aux témoignages et. aux documens authentiques. Aujourd’hui d’ailleurs un pareil livre peut avoir une utilité particulière en contribuant à rétablir dans le domaine de l’art les habitudes de réflexion, qui y deviennent de plus en plus rares, et l’ordre, qui en est absent. Que de tentatives inconsidérées en effet, quelle confusion du but avec les moyens, des principes avec les opinions d’accident ou de circonstance, des semblans du bien avec le bien lui-même ! A force de prêcher ou de pratiquer la foi dans la puissance absolue des facultés individuelles, on en est venu à substituer les jactances où les fantaisies de l’égoïsme à l’étude généreuse, à l’imitation bienfaisante des vérités qui profiteraient à tous. Dans leur empressement à secouer le joug des traditions et des règles, les débutans eux-mêmes n’ont pas pris le temps d’examiner en quoi ces règles consistent et quel est au juste le sens de ces traditions. Partout, sous prétexte d’affranchissement, l’anarchie : sous les dehors du dédain pour le métier, l’ignorance de l’art, de ses moyens d’expression les plus sûrs et souvent de ses conditions élémentaires ; partout la prétention de savoir les choses sans les avoir apprises, la ruse pour s’épargner l’effort, en un mot je ne sais quelle paresse affairée tendant à remplacer la recherche par l’aperçu, l’habileté vraie par le simulacre, et la vie saine du talent par les artifices du galvanisme pittoresque.

Il est clair qu’un livre, si instructif qu’il soit, ne suffit pas pour changer tout cela. De tels abus exigent d’autres remèdes. Une réforme sérieuse dans le mode d’éducation pratique que reçoivent aujourd’hui les jeunes artistes aussi bien que dans les encouragemens, plus impartiaux que de raison, prodigués aux talens de tout étage et de toute étoffe, — un régime d’abstinence complète remplaçant pendant quelque temps l’alimentation à outrance fournie par les expositions périodiques, — la ferme résolution chez ceux qui administrent les beaux-arts de n’avoir égard qu’à l’excellent et de se détourner du reste, — voilà, sans parler de l’action utile entre toutes qu’exercerait la venue inopinée d’un maître, voilà quelques-uns des secours les plus efficaces pour nous tirer de la crise ou plutôt de l’état d’affaissement où nous sommes.

En attendant, les leçons que contient le Dictionnaire de l’Académie des Beaux-Arts auront, nous l’espérons, leur part d’influence. Elles pourront ramener ou prémunir bien des esprits de bonne volonté sur lesquels l’erreur n’a de prise qu’autant qu’elle se produit sans être contredite, sans même être signalée par ceux qui auraient particulièrement le devoir de la combattre. L’Académie n’a pas voulu engager ainsi sa responsabilité par son silence. Itien sans doute ne ressemble moins à un ouvrage de polémique que le travail qu’elle a entrepris ; rien de plus propre cependant à faire justice des paradoxes ou des sophismes qui, depuis quelques années surtout, ont envahi le champ de l’esthétique, de la