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que M. Darwin vient de publier, et dont M. Moulinié offre une traduction fort bien faite au public français, forment le premier volume de cette série d’ouvrages spéciaux dans lesquels le naturaliste anglais nous promet de faire connaître les bases de sa théorie. L’auteur y a réuni tous les faits qu’il a pu recueillir touchant les modifications que l’influence directe de l’homme imprime aux races d’animaux domestiques et aux plantes devenues l’objet d’une culture rationnelle. Il fait l’histoire des races principales en remontant aux plus anciens documens où se retrouvent leurs vestiges, tels que les hiéroglyphes des Égyptiens ; il discute la nature et l’importance des différences qui séparent les espèces domestiquées de leurs congénères sauvages ; il révèle toute l’étendue de l’action que l’homme peut exercer par les croisemens, par l’hybridation artificielle, par la sélection longtemps continuée. L’éleveur parvient à modifier, à plier à sa fantaisie le moule d’un organisme vivant ; il crée des formes nouvelles en développant par un choix judicieux des individus reproducteurs les petites déviations fortuites qui se produisent d’une manière naturelle. C’est toute une science ou, pour mieux dire, tout un art.

Le premier chapitre du nouvel ouvrage de M. Darwin est consacré aux chiens et aux chats. Il renferme les faits les plus curieux relatifs aux croisemens de ces animaux avec les espèces sauvages. Les chiens domestiques des Indiens de l’Amérique du nord ressemblent tellement aux loups que leurs maîtres s’y trompent quelquefois eux-mêmes ; les chiens des Esquimaux semblent n’être que des loups apprivoisés, ils redeviennent volontiers sauvages, sont incapables d’attachement pour l’homme et se croisent fréquemment avec le loup gris du cercle polaire. Le chacal apprivoisé a les mœurs du chien ; si on l’appelle, il remue la queue, rampe, se renverse sur le dos ; Pallas constate le croisement naturel du chien et du chacal en Orient. Enfin plusieurs races de chiens, notamment le spitz d’Allemagne et le dingo d’Australie, se croisent avec le renard. Les faits de cet ordre, et M. Darwin en, cite un grand nombre, conduisent à admettre que le chien domestique descend de plusieurs espèces de loups, de chacals et d’autres canidés sauvages auxquels les croisemens et la vie à l’état de servitude ont imprimé les modifications les plus profondes. Les races canines diffèrent aujourd’hui entre elles par des caractères tellement tranchés qu’elles semblent offrir des dissemblances plus grandes que celles qui séparent ailleurs les espèces, quelquefois même les genres.

L’histoire des races chevalines montre également ce que la sélection dirigée vers un but déterminé peut produire avec le temps. Le cheval de course anglais, qui procède d’un mélange des sangs arabe, turc et barbe, ne rappelle guère ses ancêtres. Si les éleveurs ne cherchaient pas avant tout à fixer les variations qui ajoutent à l’utilité du cheval, il serait facile d’obtenir les races les plus singulières, des formes à demi