Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur vraie prévoyance et de donner quelque temps le change sur leurs desseins. Si dans l’état actuel de l’Europe la guerre était naturelle et probable, le gouvernement impérial aurait raison de ne pas en convenir d’avance, et d’attendre pour parler le moment d’agir avec chance de succès. Seulement, dans cette hypothèse, le gouvernement userait trop aujourd’hui des affirmations pacifiques ; entre le pouvoir et le pays, la réserve est quelquefois nécessaire et légitime ; le mensonge ne l’est jamais.

Je suis persuadé que le gouvernement pense comme il parle, et qu’il désire, qu’il espère en effet la paix qu’il promet si souvent. Pourquoi donc ses promesses sont-elles si peu efficaces ? Pourquoi ne parvient-il point à dissiper cette inquiétude qui lui pèse et lui nuit autant qu’au pays ?

Y aurait-il dans la situation et la disposition actuelle des états européens, princes et peuples, quelque forte passion, quelque travail spontané et puissant qui, malgré les intérêts et les vœux pacifiques, pousse à la guerre et doive fatalement l’amener ?

Ni chez les peuples ni chez les princes, rien de semblable ne se rencontre ; il n’y a maintenant point de nation en proie à la fièvre belliqueuse, point de chef d’état ardent à l’ambition et à la conquête.


II

La France a ressenti, de 1792 à 1815, le plus violent accès de fièvre belliqueuse qui ait agité l’Europe depuis les croisades. Le plus grand guerrier des temps modernes en a fait l’instrument de sa puissance et de sa gloire. Ces grands jours ne sont pas oubliés ; le souvenir en est encore présent et populaire, le second empire en est la plus éclatante preuve. A Dieu ne plaise que je blesse un sentiment vrai et digne de respect ! mais à quoi servirait l’intelligence humaine, si les souvenirs continuaient de gouverner, contre le bon sens et l’expérience, la vie des nations ? L’expérience de la fièvre belliqueuse révolutionnaire et impériale a été complète ; le malheur des résultats a mis en lumière le vice de la cause ; le droit public et le bien public ont repris leur rang dans la pensée publique ; la France s’est relevée pacifique des douloureuses épreuves que lui avait infligées son accès de fièvre belliqueuse. Elle est restée fière, susceptible, ombrageuse, exigeante : ses susceptibilités et ses exigences ont suscité, aux pouvoirs appelés à la gouverner, des difficultés et des périls graves ; mais à travers ces émotions du cœur national la paix a de plus en plus dominé dans la pensée nationale :