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fut réveillée, et quatre ans plus tard, après un premier essai où il hasardait en tâtonnant ses conjectures, un écrivain qu’on a su depuis être John Taylor publia un Junius identified, où il crut prouver que le vrai nom de Junius était un nom qui n’avait jamais été, au moins publiquement, prononcé dans le débat. Quelle était cette révélation ?

Au milieu de beaucoup d’indices concordans, deux circonstances paraissaient avoir déterminé la conviction ou tout au moins dirigé les recherches de Taylor. Après avoir écrit sa dernière lettre, Junius, on venait de l’apprendre, avait, en changeant de nom, dénoncé dans sept lettres insérées au même journal et empreintes de la dernière violence la décision du secrétaire de la guerre à la suite de laquelle D’Oyly et Francis avaient donné leur démission, abandonnant la place au nouveau délégué Anthony Charnier. D’où pouvait venir ce retour offensif d’un combattant qui semblait avoir abandonné l’arène, et cette importance excessive attribuée à un acte insignifiant, au changement de position de deux commis obscurs ? Comment expliquer cette explosion inattendue de colère outrageante pour si peu de chose contre lord Barrington, contre un ministre habituellement épargné jusque-là ? Junius lui-même écrit à Woodfall que Barrington n’est pas digne de sa colère, mais il l’accable de celle de Veteran, de Scotus et de Nemesis. Un intéressé peut seul, à ce qu’il semble, s’occuper autant, s’indigner autant d’une si petite affaire. Le ressentiment personnel peut seul exagérer à ce point ses griefs et sa vengeance.

D’une autre part, on a toujours supposé que le gouvernement avait connu son mystérieux ennemi. Il devait avoir tout fait pour le perdre ou le gagner. Or, un an après l’incident qu’on vient de rappeler, un de ces deux commis disgraciés, sans réputation établie, sans famille, sans patronage, avait été inopinément promu à une place importante de création nouvelle, d’un revenu de 250,000 francs. Peut-on supposer que le gouvernement fût allé le chercher dans sa retraite pour le faire rentrer dans les fonctions publiques, qu’il avait abandonnées sans nécessité, pour le gratifier d’un emploi très envié et qui était une fortune, si quelque motif politique, si quelque engagement antérieur n’eût fait une nécessité de récompenser ainsi quelque service occulte, ou de payer ainsi quelque complaisance inavouable ? L’objet de cette faveur extraordinaire et suspecte est Francis. L’auteur des lettres sur les déplacemens des commis de la guerre est le même que Junius, et ne peut être que l’un des intéressés. Un des intéressés est Francis ; donc Francis est Junius.

Cette supposition, corroborée par une foule de rapprochemens,