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Cavour une note énergique contre la conduite de la maison de Savoie dans la péninsule. La note établissait que « c’est uniquement dans la voie légale des réformes et en respectant les droits existans qu’il est permis à un gouvernement régulier de réaliser les vœux légitimes des nations, » et se terminait par le passage qui suit : « Appelés à nous prononcer sur les actes et les principes du gouvernement sarde, nous ne pouvons que les déplorer profondément et sincèrement, et nous croyons remplir un devoir rigoureux en exprimant de la manière la plus explicite et la plus formelle notre désapprobation et de ces principes et de l’application que l’on a cru pouvoir en faire. » Ainsi parlait alors le gouvernement de ce même Hohenzollem qui quelques années plus tard ne devait reculer devant aucun de ces principes et les appliquer dans les duchés, dans le Hanovre, à Francfort et sur maint autre point d’une manière tout autrement irrégulière. Le comte Cavour écouta en silence la lecture que lui fit l’envoyé de Berlin ; il exprima ensuite son vif regret d’avoir déplu à ce point au gouvernement de sa majesté prussienne, mais il se consola finement par la pensée que « la Prusse saura encore un jour gré au Piémont de l’exemple qu’il venait de lui donner… » Avec sa rare sagacité, l’illustre homme d’état avait à ce moment entrevu la politique de l’avenir et en avait posé les premiers jalons. L’alliance des deux gouvernemens italien et prussien dans un temps plus ou moins rapproché était en effet immanquable, fatale, inscrite dans les astres aussi bien que dans la situation géographique des deux pays. Ils avaient la même « mission, » le même adversaire, et, avantage plus précieux encore, moralement unis, ils étaient territorialement séparés ; avec la faculté de devenir des alliés à tout moment, ils avaient la certitude de ne jamais se trouver voisins.

Si rationnelle et même inévitable que pouvait paraître une pareille alliance à tout esprit tant soit peu prévoyant, elle n’en devait pas moins rencontrer encore vers la fin de 1864, dans les hommes, dans les circonstances, dans les idées traditionnelles et invétérées, des obstacles presque invincibles. Les obstacles ne venaient pas à coup sûr des deux hommes placés alors à la tête des deux gouvernemens de Florence et de Berlin, et qui étaient au contraire bien faits pour s’entendre. Le général La Marmora, ainsi que nous l’avons indiqué, était renommé depuis longtemps dans la péninsule pour sa « prussomanie. » Envoyé pour la première fois du temps du roi Charles-Albert avec une mission spéciale à Berlin, il en était revenu fortement épris de l’organisation militaire de la Prusse, dont il essaya depuis, comme ministre de la guerre, d’adapter le système à l’armée piémontaise. En 1861, il était allé une