Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la maison de santé où il avait obtenu d’être transféré, court délivrer quelques complices détenus à la Force, se présente dans plusieurs casernes en déclarant que l’empereur a été tué devant Moscou, fait saisir le ministre de la police et le préfet de police (le duc de Rovigo et M. Pasquier), qui sont conduits à la Force, et il n’est reconnu et arrêté qu’au moment où il venait de tirer un coup de pistolet sur le général Hulin, commandant de la place de Paris. Le rendez-vous du gouvernement provisoire était à l’Hôtel de Ville. Un affidé de Malet, ignorant l’arrestation du chef du complot, se présente à la préfecture, annonce à Frochot la mort de l’empereur, et demande une salle pour les délibérations du nouveau gouvernement, convoqué à neuf heures. Frochot, tout interdit, désigne la grande salle de l’Hôtel de Ville, ordonne quelques dispositions et se retire au plus vite. Immédiatement il apprend que la nouvelle est fausse et qu’il vient d’être victime d’une affreuse mystification. Après avoir calmé les alarmes qui commençaient à se répandre autour de lui, il se rend chez Cambacérès, où étaient réunis les principaux membres du gouvernement. L’aventure était assez humiliante. Le péril n’avait pas été bien grand ; mais que dirait l’empereur de l’incurie qui avait permis ce tapage nocturne, de la crédulité qui avait accepté au premier moment la nouvelle de sa mort, de l’oubli complet dans lequel on paraissait avoir laissé l’impératrice et le roi de Rome ? Il fallait une victime, et ce fut Frochot qui paya pour tous. Vainement il assura qu’en ordonnant de préparer la salle de l’Hôtel de Ville il cédait à la force, ne cherchait qu’à gagner du temps, et se disposait à porter ailleurs une résistance plus efficace. Pour comble de malheur, son nom se trouvait sur la liste du gouvernement provisoire dressée par Malet, périlleux témoignage rendu à sa popularité. L’empereur revint de Russie au mois de décembre, mécontent de lui-même et de tout le monde. Il déféra la conduite de Frochot au jugement du conseil d’état, qui décida que le préfet de la Seine « n’avait pas été coupable de trahison, mais qu’il avait manqué de présence d’esprit. » Les amis mêmes de Frochot ne songèrent plus qu’à l’excuser en avouant « qu’il avait été frappé d’une apoplexie morale. » La destitution était inévitable ; elle fut prononcée le 23 décembre. Napoléon avait du goût et de l’estime pour Frochot, il manifesta plus d’une fois le regret de l’avoir sacrifié ; mais il croyait obéir à la raison d’état en se montrant inflexible. Frochot se retira d’abord à Nogent-sur-Seine, puis il retourna dans son village d’Aignay-le-Duc. « Il faut, écrivait-il à M. de Montalivet, de qui il avait reçu une lettre affectueuse, il faut que votre excellence soit douée d’une bonté bien inépuisable pour se souvenir encore d’un pauvre paysan dont un hasard singulier avait fait une