Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/502

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop parler. Et de fait pourquoi la Prusse se jetterait-elle légèrement, témérairement, dans une guerre qu’elle sait bien devoir être sérieuse, malheureusement peut-être acharnée, le jour où elle éclatera ? Les événements ont comblé ses ambitions, et laissent l’avenir ouvert devant elle. Avant de songer à cet avenir et de se remettre en chemin, elle a tout au moins à se rasseoir, à relier les provinces qu’elle s’est appropriées, à pousser autant que possible cette assimilation qu’elle a entreprise, et tout le monde sait que l’œuvre est loin d’être accomplie, qu’il y a des antagonismes et des intérêts tenaces, qu’à Francfort, dans le Hanovre notamment, la Prusse rencontre des résistances que la lourde main de sa bureaucratie ne suffit pas à désarmer, de telle sorte que le cabinet de Berlin a infiniment plus à gagner par la paix que par la guerre. Sans doute en Prusse comme partout il y a des passions ardentes qui appellent un conflit, loin de le redouter. Il y a un parti national impatient de compléter l’unité allemande, il y a un parti militaire impatient de nouvelles batailles et nourrissant l’ambition de se mesurer avec la France ; mais ce parti national voit assez clair pour comprendre que ce serait la plus insigne des folies de risquer dans une bataille ce qui a été si miraculeusement obtenu, et ces officiers, justement fiers de ce qu’ils ont fait, pleins de confiance en eux-mêmes, sont retenus par la crainte de voir, à la suite d’extensions nouvelles, trop d’élémens étrangers envahir l’armée prussienne. Au fond, toutes les passions belliqueuses ou ambitieuses qui peuvent s’agiter encore en Allemagne sont notoirement dominées par le sentiment d’une nécessité pacifique, par toute sorte de considérations dont la première est qu’il ne faut rien risquer et surtout rien provoquer. Qu’on laisse aujourd’hui l’Allemagne à elle-même, elle ne prendra certainement pas l’initiative d’une agression.

Toute la question est de savoir si cette agression peut venir de la France, et c’est justement dans cette question que réside la responsabilité du gouvernement français ; c’est sur ce point que s’épaissit chaque jour une savante obscurité. La France ne rêve que la paix, ne veut que la paix, on le répète de toute façon dans les discours et dans les articles de journaux. Si elle s’est armée d’une manière formidable, c’est uniquement pour sa sûreté et par une légitime précaution défensive en présence des agrandissemens des autres puissances. Elle ne songe qu’à maintenir l’équilibre de l’Europe, à assurer l’inviolabilité du droit et des traités. Malheureusement c’est ici que commencent l’équivoque et le danger. En fait et laissant de côté toute phrase, il y a devant nous une situation très nette, parfaitement claire, quoique difficile à définir et à limiter. Il y a un mouvement commencé en Allemagne, et commencé sous les yeux de la France, tout au moins avec son assentiment tacite jusqu’ici ; il y a une grande nation tendant à son unité, et qui ne se désistera pas de son ambition, dût-elle être déplaisante pour nous. Voilà le fait