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Ce que rejette Ampère, ce qu’il admet pour commencer me paraît tout à fait arbitraire et dépendre moins d’une méthode que d’une impression personnelle et d’une espèce de divination qu’il aurait acquise en vivant beaucoup dans les mêmes lieux et en dormant dans l’antre de la sibylle. J’appellerais cela volontiers le Songe d’Ampère. Tant qu’il ne se donne que pour le commentateur et le compagnon de voyage de Virgile aux collines d’Évandre, je me plais à le suivre ; c’est de la poésie encore : mais, lorsque mettant le pied dans l’histoire, il s’écrie tout à coup : « Je crois à Romulus ! » quand il nous annonce en tête d’un chapitre la vérité sur l’enlèvement des Sabines, je souris en l’écoutant ; il m’est impossible de voir autre chose dans les diverses sortes d’interprétations auxquelles il se livre qu’un jeu d’esprit soutenu de l’érudition la plus animée. Lorsqu’il arrive à des époques positivement historiques, je m’étonne encore de la méthode d’Ampère. Il a une vivacité (à cette distance) qui peut avoir son charme et son piquant, mais qui, pour le fond, me jette à tout instant dans la perplexité et le doute. Qu’il en veuille d’avance au grand Scipion, parce qu’il le soupçonne par anticipation d’avoir été une première ébauche, une première épreuve de César, passe encore ; mais qu’il tienne à voir en lui un charlatan et que, pour se confirmer dans l’interprétation subtile de son caractère, il écrive : « J’ai demandé aux bustes de Scipion de m’éclairer sur son mysticisme, et leur étude n’a pas été favorable à la sincérité de ce mysticisme : cette physionomie n’est pas celle d’un illuminé sincère, c’est la physionomie d’un homme intelligent, hautain, positif,… » un pareil genre de preuves, je l’avoue, me paraît prêter terriblement à la fantaisie. J’admire qu’Ampère, connaisseur de tout temps assez incertain en matière de beaux-arts, se trouve ainsi avoir aiguisé ses sens, au point d’être subitement doué de seconde vue et de dépasser Lavater, et en général je ne saurais me faire à cette méthode qui me paraît bien hasardeuse et qu’il affectionne avant tout, de prétendre juger du caractère des hommes d’état par des portraits et des bustes plus ou moins ressemblans et quelquefois douteux ; mais, cela dit, ce voyage à travers l’histoire romaine qu’on refait avec Ampère est plein d’agrément et d’instruction ; la contradiction même y est profitable : on y remue, on y ravive, bon gré, mal gré, ses notions et ses jugemens. En arrivant à l’ère des Césars, l’auteur a pu donner toute carrière, avec vraisemblance et d’une manière assez plausible, à son républicanisme littéraire. D’autres, depuis, se sont montrés encore plus durs que lui pour Auguste, à qui l’on fait maintenant un crime d’avoir été un politique profond et d’avoir donné quarante années de paix au monde. Ampère ne termine pas ce règne d’Auguste sans apostropher le vieil empereur et lui dire son fait à dix-huit cents ans de distance : « Non, je