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retombait pas moins dans les anciens erremens, dans les traditions de la vieille école, dès qu’il était laissé à ses propres instincts. « La France, — ainsi raisonnait cette vieille école, bien décriée, il est vrai, mais qui après tout avait peut-être un peu d’histoire nationale dans l’âme, — la France n’est point une île, elle ne peut avoir une politique insulaire et se mettre à l’écart de l’Europe quand au centre même de l’Europe l’équilibre des forces menace d’être rompu. En tournant le dos à l’Allemagne et en y laissant prévaloir certaines combinaisons, la France courrait le risque de devenir par rapport aux affaires de l’Europe transrhénane ce qu’est aujourd’hui l’Espagne par rapport aux affaires transpyrénéennes. Il faut qu’elle prenne un parti décisif dans cette lutte tantôt latente et tantôt ouverte que se font en Allemagne les Habsbourg et les Hohenzollern. Sans doute la maison de Habsbourg a été l’ennemie séculaire de la France[1]; mais c’était dans des siècles où elle dominait en Belgique, dans le Brisgau, en Italie, et où, sous le nom de saint-empire romain, elle représentait précisément cette unité allemande que la Prusse veut maintenant reconstituer à son profit. Depuis lors, la face de l’Europe a bien changé, deux grandes puissances militaires et conquérantes ont surgi tout à coup au XVIIIe siècle, et l’Autriche, déchue de son ancienne prépotence et ne touchant plus en aucun point à nos frontières, est à l’heure qu’il est notre seule alliée naturelle sur le continent. Sans doute aussi l’Allemagne aspire à une réforme fédérale, à une constitution plus homogène et plus unitaire; mais, sans demander où est pour nous l’obligation de hâter une telle œuvre, ne devrions-nous pas du moins travailler à ce qu’elle s’accomplît plutôt au profit de la liberté que du despotisme, par les classes éclairées et pacifiques, par la diète fédérale, voire un parlement de Francfort, plutôt que par une puissance au premier chef militaire, bureaucratique et centralisatrice? Si jamais la Prusse parvenait à ses fins, si jamais elle enserrait la Germanie dans ses cadres militaires et bureaucratiques, elle deviendrait pour nous une ennemie plus menaçante, plus redoutable, que ne le fut à aucune époque de notre histoire l’Autriche, alors même qu’elle portait le nom et représentait la puissance du saint-empire romain... »

À ce point de vue, la conduite à suivre après les événemens de

  1. Et la Prusse donc?... « Aussi loin que notre mémoire peut remonter, elle nous montre dans la Prusse un adversaire de la France. La guerre de sept ans, le partage de la Pologne, la convention de Pilnitz, Waterloo, et depuis 1815 une entente constante et invariable avec l’Autriche et la Russie contre nous : telle est, en deux mots, l’histoire, toujours la même, de nos relations avec la Prusse. » Ainsi s’exprimait sur ce sujet le manifeste même de la démocratie autoritaire qui plaidait l’alliance avec la Prusse, et dont il sera bientôt parlé plus au long.