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Gastein était aussi clairement indiquée que singulièrement facile. Sans se mêler directement des affaires allemandes, sans froisser en rien les susceptibilités tudesques, la France pouvait désormais opposer une digue infranchissable à l’ambition prussienne. Elle n’avait pour cela qu’à maintenir son union avec le cabinet de Saint-James et à encourager par cette attitude les résistances du cabinet de Vienne et des états secondaires. L’ancien et honnête rêve de M. Drouyn de Lhuys était tout près de se réaliser : on arrivait par la force des choses à un accord entre la France, l’Angleterre et l’Autriche pour une politique de conciliation, d’apaisement et de conservation!... Que serait-ce encore, si l’on parvenait à retirer la dernière pierre d’achoppement sur la route vraiment royale qui s’ouvrait ainsi à la politique de l’Occident, si l’on réussissait à résoudre cette malheureuse question vénitienne, la seule et grande difficulté qui existât en réalité entre Vienne et Paris, même entre Vienne et Londres? La grande alliance si vainement poursuivie lors de la crise orientale, l’alliance de l’Angleterre, de la France et de l’Autriche, serait dès lors possible, certaine, et l’Italie elle-même viendrait y chercher sa place !

Tout espoir serait-il donc interdit de ce côté? Le moment ne serait-il pas au contraire favorable pour tenter une solution que réclamait la paix du monde, que recommandaient les esprits même les moins enthousiastes de l’œuvre de Cavour, les plus soucieux des principes conservateurs[1]? Sans doute l’empereur François-Joseph avait raison de ne pas vouloir vendre à la Prusse ces duchés de l’Elbe qui ne lui appartenaient pas, dont le Bund seul pouvait disposer; mais la Vénétie était sa propriété exclusive, incontestable : en l’aliénant, il retirerait non-seulement un profit moral immense, mais aussi un profit matériel considérable qui viendrait soulager d’une manière sérieuse les finances très embarrassées de son empire. La France n’a-t-elle pas cédé la Louisiane aux États-Unis contre une indemnité de 80 millions? La Hollande n’a-t-elle pas fait à l’Europe le sacrifice de la Belgique, et tout récemment encore l’Angleterre n’a-t-elle pas donné le glorieux exemple de rendre à elles-mêmes les îles ioniennes? Pourquoi l’Autriche s’obstinerait-elle à vouloir conserver une possession qui n’était pour elle qu’une cause d’affaiblissement et de ruine?

Le projet déjà souvent émis de racheter Venise[2] fut donc repris

  1. M. Ad. Deschamps, entre autres, l’ancien ministre des affaires étrangères en Belgique, dans un remarquable écrit: la Convention de Gastein, qui paraissait à ce moment, août 1865.
  2. L’idée fut présentée pour la première fois en 1860 dans un écrit français intitulé l’Empereur François-Joseph et l’Europe, et on a voulu y voir dans le temps une haute inspiration. Le général La Marmora la remit sur le tapis vers la fin de 1864. Déjà du reste Gioberti avait caressé un projet semblable en 1849.