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brochure les a en vénération extraordinaire, et c’est surtout en leur nom qu’elle passe dédaigneusement sur les prétentions du duc d’Augustenbourg, « prétentions fondées sur de vieux titres de propriété peu en harmonie avec le droit nouveau des peuples. » Il est vrai que M. de Bismarck lui-même ne s’empresse guère de proclamer ce droit nouveau dans les duchés, et notre auteur en est visiblement embarrassé, car c’est là, selon lui, le seul grief légitime que pourrait avoir la France, la France du suffrage universel et de la volonté nationale, contre la conduite du gouvernement prussien dans les affaires de Slesvig-Holstein. Pour sortir de cette impasse, l’avocat de M. de Goltz finit cependant par trouver un argument ingénieux et qui est le digne pendant de la fameuse conclusion des syndics de la couronne. « Dans le gouvernement intérieur de la Prusse (ainsi argumente l’auteur), M. de Bismarck est en désaccord complet avec les représentans de la nation. Néanmoins il convoque les chambres, leur laisse la parole, ne met pas obstacle à ce qu’elles votent comme elles l’entendent; mais, quand le parlement gêne trop sa marche, il le met de côté, puis il continue d’administrer comme si le parlement n’avait rien dit. M. de Bismarck en use de même avec le droit des duchés. Il ne le conteste ni le supprime, il le passe sous silence... »

Tournant ensuite ses regards vers l’avenir, l’écrivain de l’ambassade de Prusse aborde avec discrétion un sujet bien autrement grave et important. « L’Allemagne tout entière, dit-il, est possédée de l’irrésistible désir, de l’impétueux besoin de l’unité. La Prusse a le sentiment instinctif que c’est par elle que l’Allemagne doit arriver à cette unité, qui n’a guère été jusqu’ici qu’un rêve à peu près irréalisable; elle tient la tête du mouvement, elle joue en Allemagne le rôle d’initiateur que la France de la révolution a joué en Europe. » La France doit-elle prendre ombrage du rôle présent et futur de la Prusse? Non! répond l’homme de confiance de M. de Goltz. « La France et la Prusse sont ou du moins devraient être des alliées naturelles, mettant leurs forces et leur puissance en commun pour faire triompher en Europe la cause de la civilisation et de la liberté. Elles peuvent se tendre une main amie par-dessus les flots de ce Rhin qui les unit bien plus qu’il ne les sépare. Ennemies, elles se sont fait beaucoup de mal sans profit ni pour l’une ni pour l’autre ; amies et unies à l’Angleterre et à l’Italie, elles peuvent conduire les destinées de l’Europe. Avec l’amitié de l’Amérique, elles régleraient celles du monde entier. »

En même temps que l’ambassade prussienne tâtait l’opinion par cet écrit anonyme aux aperçus si ingénieux sur le passé, aux vues bien plus larges encore sur l’avenir et sur une nouvelle ère de civi-