Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dédaigner assurément le droit nouveau et les principes modernes, avaient surtout à cœur les intérêts de leur ancienne et bonne France. Or, au jugement de ces derniers, une guerre en Allemagne ou plutôt une guerre entre les Allemagnes, pour parler le langage de Froissart, était une rare bonne fortune pour la France, offrait une occasion unique et précieuse pour un remaniement équitable de la carte de l’Europe. On ne prévoyait pas naturellement une campagne de sept jours; on prévoyait au contraire une campagne bien longue, bien tudesque et pédantesque, on en prévoyait même plusieurs. Encore moins se doutait-on d’un succès foudroyant de la Prusse, de ce coup de destin merveilleux, écrasant, qui devait bientôt s’appeler du nom de Sadowa : on appréhendait bien plus un résultat tout opposé, le triomphe trop facile des kaiserliks. L’Autriche avait, après la France, la première armée du monde, et cette armée n’avait fait que guerroyer en Hongrie, en Italie depuis nombre d’années, tandis que la monarchie de Brandebourg possédait à peine « une école de landwehr, magnifique sur le papier, mais insuffisante même pour la défensive; » et qui depuis un demi-siècle (la courte et insignifiante campagne des duchés ne pouvant guère compter) n’avait pas senti la poudre[1]. La disproportion des forces présentait même ici un aspect effrayant, et ce n’était pas assurément trop de l’adjonction de l’Italie à la Prusse pour balancer tant soit peu la supériorité manifeste de l’Autriche et lui créer un dérivatif au-delà des Alpes. Encore avec ce dérivatif la situation du Hohenzollern ne paraissait-elle que bien précaire en face du Habsbourg assisté de toutes. les troupes de la confédération germanique. Ce n’était pas une raison assurément de retenir la Prusse dans son ardeur belliqueuse, bien au contraire; mais c’était une raison de ne pas refroidir une si belle ardeur par des débats intempestifs sur des compensations et des combinaisons à venir. Toute insistance sur ce point délicat courait le risque de froisser les sentimens patriotiques

  1. Voici ce qu’à la veille même de Sadowa on enseignait aux militaires français sur les forces respectives des deux puissances allemandes : « L’armée prussienne, dans laquelle le service est très court, n’est en quelque sorte qu’une école de landwehr. C’est une organisation magnifique sur le papier, mais un instrument douteux pour la défensive, et, qui serait fort imparfait pendant la première période d’une guerre offensive... L’Autriche, dont la population est d’environ 37 millions d’habitans, a une grande et belle armée qui laisse loin derrière elle comme organisation les armées prussienne et russe. Après la France, elle occupe le premier rang comme puissance militaire. » Cours de artillerie militaire à l’école d’application de l’artillerie et du génie, à Metz. 1864. — Au commencement de 1866, il est vrai, l’attaché militaire de l’ambassade de France à Berlin, M. de Clermont-Tonnerre, attirait l’attention de son gouvernement sur les nouvelles armes de la Prusse, « armes terribles. » Tout en tenant compte de ce fait, on n’y vit cependant qu’une chance un peu meilleure pour la Prusse dans une lutte toujours inégale avec l’Autriche et d’une issue nullement douteuse.