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Bund, un nouvel état composé surtout des provinces rhénanes re- tirées à la Prusse. Nous oserions presque l’affirmer en effet, la France ne poursuivait nullement une annexion ou une conquête considérable; elle se serait contentée d’une modeste et juste rectification de frontières du côté de la Sarre, du Palatinat : sur le Rhin, qui serait toujours resté allemand, elle aurait seulement demandé la formation d’un état secondaire et neutre, à l’instar de la Belgique. On voulait respecter les principes de nationalité, ménager les sentimens patriotiques de la Germanie, ne pas éveiller les susceptibilités de l’Angleterre : on tenait essentiellement à prononcer une parole de paix, d’équité et d’équilibre, on était même sûr que « cette parole serait écoutée, » que la France atteindrait le but « par la force morale seule et sans être obligée de tirer l’épée. » Le but assurément ne manquait pas de véritable grandeur. Compléter l’unité italienne, rendre à l’Autriche un patrimoine injustement ravi, constituer la Prusse en puissance du nord forte, homogène, bien limitée, un boulevard contre la Russie, relever l’importance des états secondaires, neutraliser la ligne des forteresses allemandes sur le Rhin, — et tout cela sans blesser les principes et les sentimens légitimes, et en faisant preuve, quant à soi, d’un grand « désintéressement, » obtenir même tout cela sans avoir tiré l’épée, par la seule force morale, — la vision était sublime ! Elle se fait jour, pour quiconque sait lire, dans les diverses déclarations du cabinet des Tuileries à cette époque, elle éclate avec la dernière évidence dans la lettre impériale à M. Drouyn de Lhuys du 11 juin 1866.

Ainsi dégagée de ses ténèbres, la politique française de ces temps devient quelque chose de rationnel et d’explicable, et perd beaucoup de ce caractère sentimental et lunatique que lui ont généreusement prêté certains publicistes étrangers. On comprend dès lors la négligence, autrement inconcevable, de tout armement, l’absence aussi de toute stipulation précise, de tout engagement formel dans l’entretien de Biarritz, et on est presque tenté de recomposer cet entretien par la pensée (pensée toujours téméraire, il est vrai!) et d’après les données qui ont cours à ce sujet de l’autre côté du Rhin. M. de Bismarck en 1865 aura tenu à peu près le langage de l’année précédente, le langage qui lui était habituel du reste sur la configuration impossible de la Prusse, sur la nécessité pour elle d’être mieux assise afin de ne plus tourner constamment dans l’orbite des cours du nord et d’avoir la liberté de ses alliances. « L’Allemagne aspire à l’unité, et la Prusse y joue le rôle de l’initiateur que la France de la révolution a joué en Europe. » L’unité italienne, l’unité allemande, sont sœurs; leur mère à toutes les deux, la France, ne devrait-elle pas songer à compléter égale-