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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/534

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ment sa grande unité nationale du côté de la Belgique? Comme conséquence de ces transformations selon le droit nouveau apparaissait un accord entre Paris, Berlin et Florence, voire Londres et Washington, « pour conduire les destinées de l’Europe, pour régler celles du monde entier, » pour rendre, par exemple, l’Autriche à sa vocation véritable sur le Danube, refouler la Russie, peut-être même « ranimer l’aigle blanc de la Pologne, qui cette fois trouverait des appuis déclarés... » De pareils épanchemens auront été probablement écoutés en silence, d’un air parfois incrédule, parfois même distrait, avec la disposition évidente de ne pas soulever des débats, de parler même le moins possible; — parler, c’était nuire à la conversation, selon le célèbre aphorisme anglais. Amené cependant à s’expliquer, on aura répondu que l’Italie ne manquera sans doute pas de profiter de l’occasion, pourvu que l’occasion fût sérieuse et ne tournât pas en une déception de Gastein. Quant à la France, son dessein est bien arrêté et bien connu de respecter l’Allemagne, de ne pas y contrarier les aspirations nationales. A moins que la carte de l’Europe ne vînt à être modifiée au profit trop exclusif de l’une des grandes puissances, la France gardera la neutralité, et cette neutralité ne saura qu’être bienveillante à une combinaison où les intérêts de l’Italie se trouveront engagés. Là, selon toutes les apparences, se seront arrêtées les explications, et l’on n’aura pas cru devoir suivre l’interlocuteur disert dans ses courses fantastiques à travers les espaces et les siècles. Au fond, on devait trouver quelque peu plaisant ce diplomate à l’imagination fertile, ce représentant d’une puissance plus que problématique, qui dépeçait si lestement l’Europe et distribuait des royaumes. On ne lui demandait pas tant, on lui demandait seulement de donner au monde la chiquenaude de Pascal pour le mettre en mouvement; d’autres viendront après régler ce mouvement et le diriger vers son but. C’est en effet cet homme à la chiquenaude qu’on croyait avoir devant soi à Biarritz : un aventurier de haute lignée, un Garibaldi en habit noir et cravate blanche, un Garibaldi comme il faut et comme il en fallait pour imprimer la première secousse à une Europe engourdie dans les traités de 1815. Or on ne traits pas avec des Garibaldi quand on est un gouvernement régulier et fort, et l’on ne prend pas d’engagement envers eux. On les laisse faire, on les encourage de loin, on leur procure même quelque secours, quelque alliance sous main, quitte à les renier s’ils succombent, et à les évincer s’ils réussissent.

Assurément personne ne mettra en doute le talent prodigieux de M. de Bismarck dans la dissimulation; mais ce que l’historien et le psychologue futurs trouveront surtout à célébrer en lui, ce sera peut--